•             Reçu à mon nom un courrier électronique de l’institut de sondage Hip-Sauce :
                « Cher Michel Perdrial, le monde dans lequel nous vivons est vaste, extrêmement vaste. Difficile à saisir, encore plus difficile à atteindre. En êtes-vous si sûr ? La tendance aujourd’hui, c’est la globalisation… et aucun marché n’y échappe. En répondant à nos enquêtes et en donnant votre opinion, vous influencerez l’évolution des marchés mondiaux. »

                Cher institut Hip-Sauce, crois-tu vraiment que ma petite personne ait la moindre influence sur la marche du monde ? Tu te méprends. Et même, si c’était le cas, tu me fais de la peine en pensant que j’aurais envie d'aider la société marchande à mieux s'organiser pour exploiter les faibles et ruiner la planète.

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  •             Le quai Hector Malot à la Bouille, un lieu bien choisi pour la rencontre de Laurent Fabius et de Marie-Ségolène Royal. Laurent n’avait mis que la moitié de sa tenue de socialiste : sa grande écharpe rouge. Le chapeau à la Mythe Errant, qu’il aime arborer dans les manifestations, était resté accroché à la patère par risque de vent. Marie-Ségolène portait, à son habitude, une tenue des plus classiques. Elle était ravie, un enfant de plus dans son grand giron. Lui la regardait en coin, l’écharpe rouge croisée façon bouée de sauvetage. C’était inélégant mais prudent, une chute dans la Seine n’étant pas exclue, car maman est sévère et peut se fâcher très fort.

                Et ce maladroit qui n’a rien trouvé de mieux que d’arranger à sa façon une phrase d’Alexandre Dumas : « Une pour tous et tous pour une ». Maman a souri mais n’a que moyennement apprécié la connotation sexuelle de la formule. Il faudra qu’elle explique certaines choses à ce grand garçon qui aurait mieux fait de relire Sans Famille et d’y piocher pour la circonstance quelque sentence inoffensive.

                Enfin, Laurent, ce pauvre enfant trouvé, a donc été recueilli hier à La Bouille par la mère Barberin, espérons qu’elle ne le vendra pas pour trente euros à un musicien ambulant.

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  •             Parfait concert hier soir à l’Opéra de Rouen où était invité le claveciniste Kenneth Weiss qui sait si bien se dédoubler pour à la fois promener ses doigts sur le clavier et diriger l’orchestre d’une main précise. Trois valeurs sûres au programme : Händel, Haydn et Mozart (en mode enfant, avec son Galimatias musicum composé à dix ans), et une inconnue de moi : Marianna Martinez, qui tenait salon autrefois à Vienne.

                Un très bon moment vraiment, que j’avais pu anticiper grâce à l’ouverture au public d’une répétition, mercredi dernier. Kenneth Weiss au travail, rigoureux et décontracté, précisant tel ou tel point, répondant aux interrogations des musiciens munis de leurs deux outils fétiches : le crayon et la gomme, donnant quelques indications aux curieux installés dans les fauteuils d’orchestre.

                -Si c’est écrit forte, jouez forte, recommandait, cet après-midi-là, Kenneth White à l’orchestre.

                Un conseil qui m’en rappelle un autre, d’un écrivain à ceux qui veulent écrire : S’il pleut, écrivez qu’il pleut. Le meilleur conseil que l’on puisse donner.

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  •             Découverte de l’univers théâtral d’Alexis Armengol avec le groupe des parcoureuses et parcoureurs, recruté par la Scène Nationale comme échantillon-test de deux axes de sa programmation. Il y a quelqu’un ? est au programme, une pièce composée de courtes saynètes, trois acteurs (deux garçons et une fille) jouent tout à tour divers personnages (parents/enfant, couple/ami du couple, trio de copains, etc.) et un quatrième acteur figure un voisin qui traverse la vie des trois autres sans jamais y entrer (un personnage tout droit sorti d'un roman de Michel Houellebecq et tenu par un acteur lui ressemblant étonnamment).

                Il s’agit de s’interroger sur l’identité de chacun par rapport à soi-même et aux autres. Comme je ne me préoccupe nullement des questions existentielles, cela m’intéresse d’emblée assez peu. De plus, ce n’est vraiment pas mon genre d’humour, une ou deux répliques me font sourire rien de plus, je crois qu’il faut beaucoup aimer la télévision et pas la meilleure pour rire à ce genre de situations et de dialogues, par moment on n’est pas loin de la série Un gars une fille.

                Décidemment, je ne suis pas un bon spectateur pour la programmation de la Scène Nationale. La douzaine d’autres a apprécié, semble-t-il. Et ma voisine n’a pas cessé de rire. Il y avait dont quelqu’un mais ce n’était pas moi.

                Qui suis-je ? D’où viens-je ? Où vais-je ? Pierre Dac a traité la question sans qu’il soit besoin d’y revenir : Je suis moi, je viens de chez moi et j’y retourne.

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  •             Ça commence par des petits éclairs épisodiques dans l’œil droit, je n’y prête guère attention. Puis une sorte de nuage flottant dans ce même œil, c’est bizarre. Un soir, je pioche un livre au hasard dans les piles d’ouvrages non encore lus, L’aveuglement de José Saramago, l’histoire d’une épidémie de cécité, je l’abandonne rapidement, ennuyeux et également un peu angoissant dans l’état où je me trouve.

                J’espère que ça va guérir, peut-être que je passe trop de temps devant l’ordinateur. Je demande un rendez-vous à l’ophtalmologue, pas possible avant le vingt mars.

                Je reçois le numéro d’hiver de Diérèse où sont publiés trois de mes textes, sous l’un d’eux en bas de page un dessin signé Jean-Paul Gavard-Perret, un portrait, ce pourrait être moi, plus jeune, l’œil droit est recouvert d’une tache d’encre.

                Ce nuage dans l’œil ne veut décidément pas disparaître, j’y pense de plus en plus souvent.

                La nuit suivante, je lis Douleur exquise de Sophie Calle, que m’a offert mon amoureuse pour mon anniversaire, l’histoire d’une rupture qui lui a fait bien mal à Sophie Calle. J’y croise Hervé Guibert et son livre Des aveugles, la photographie d’un Japonais aveugle, le récit d’une jeune femme devenue aveugle en une nuit, le texte de Sophie qui reprend sans cesse le récit de son abandon par l’homme qu’elle aimait devenant page après page de plus en plus pâle jusqu'à être illisible.

                Tous ces hasards ne peuvent en être, j’ai de plus en plus la trouille et je m’entraîne à fermer cet œil droit pour savoir à quoi ça ressemble le monde vu par un borgne.

                Ce matin, j’achète Libération pour son supplément littéraire et j’y trouve un long article sur La folle bestialité, roman policier de Giorgio Todde, par ailleurs chirurgien de l’œil, cela en écoutant sur France Culture le photographe Franck Horvat raconter que la plus grosse peur de sa vie, il l’a eue le jour où il a cru perdre la vue.

                Je n’en peux plus, je fonce chez l’ophtalmologue, elle est absente. Un de ses confrères accepte de me recevoir. Je lui parle du nuage. Il me demande :

                -Ça a commencé par des petits éclairs ?

                Il me dit que j’ai un décollement du vitré de l’œil, que s’il s’agit d’un simple décollement ce n’est pas grave, mais qu’il faut vérifier qu’il n’y a pas déchirure car dans ce cas il faudrait intervenir avec un laser.

                Il me met des gouttes dans l’œil, y appose une sorte de verre de contact et m’examine longuement, je n’en mène pas large.

                -Non, pas de déchirure, me dit-il.

                Cela devrait s’estomper avec le temps, le mieux à faire c’est de ne pas y penser, ça arrive souvent aux myopes, il a un cas par jour en moyenne dans son cabinet.

                En rentrant, je vérifie tout ça sur Internet et j’y lis que le peintre norvégien Edvard Munch a eu une hémorragie du vitré de l'oeil droit, à soixante-sept ans, ce qui a entraîné des corps flottants importants qu'il a représentés dans plusieurs de ses tableaux. Et bien sûr, pour la Saint Valentin, elle m’a offert un ouvrage sur Edvard Munch.

                Je lui explique tout ça lorsque je la retrouve, elle n’en revient pas d’une telle accumulation de coïncidences.

                -Comment tu te sens ? me demande-t-elle.

                -Ça va, je suis juste un peu décollé mais pas déchiré.

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  •             Début d’après-midi au Fraque, en compagnie d’une ribambelle de lycéennes et lycéens, tout le monde est là pour Bernard Plossu et ses centaines de photos prises dans les années soixante-dix et même jusqu’à quatre-vingt-cinq, à l’ouest des Uhessas. Des photos noir et blanc présentées pour la première fois dans leur ensemble sous le titre So Long (Vivre l’Ouest américain), photos qui m’apprennent de cette Amérique tout ce que je sais déjà, que je connais sans y être jamais allé, cela avec pas mal de talent, ce qui lui vaut plein de bonnes critiques à Bernard Plossu, plusieurs pages sur cette exposition dans L’œil de ce mois par exemple. On sent bien que Bernard regarde cela de l’extérieur, rien à voir avec les photos datant de la même époque signées Jacob Holdt vues il y a quelque temps au Pôle Image, Jacob payant sacrément de sa personne.

                Sur grand écran, un film où l’on suit Bernard Plossu en pleine pratique dans les bus marseillais. D’une voix douce et sereine, il parle de ses voyages et de ses photos et se définit comme un photographe féminin. Il a l’air vraiment sympathique. On le croiserait qu’on aurait envie de lui parler.

                « Je suis convaincu que la photographie est une forme d’expression littéraire… » déclare-t-il dans la revue Lisières Vingt et Un. J’écoutais ce matin Franck Horvat au micro de Francesca Isidori dans Les affinités électives de France Culture, il disait exactement la même chose.

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  •             Réunion des parcoureuses et parcoureurs recrutés par la Scène Nationale pour suivre deux des spectacles de la saison, cela se passe à Mont-Saint-Aignan. Sur la proposition d’un des participants, chacun(e) s’active sur le papier à développer ses arguments pour ou contre la programmation l’an prochain par le Centre Culturel Marc Sangnier de Oui oui, pourquoi pas, en effet de la chorégraphe Carlotta Sagna. La décision est déjà prise par le responsable des achats qui a vu le spectacle à la Ferme du Buisson, voyons donc voir si le groupe de spectateurs est de son avis.

                A la lecture des différents points de vue, il s’avère que le non (et le non mais) l’emporte légèrement sur le oui (et le oui mais), chacun(e) développant des arguments bien personnels et variés. La position du responsable des achats est confortée, pour lui aussi c’est non. Pour moi, c’est spectacle moyen avec trop de volonté démonstrative donc non (sauf s’il n’y a rien de mieux en magasin).

                J’avais un autre bon argument en faveur du non, que je n’ai pas avancé lors de cette réunion, l’un des interprètes est si vieux que cela incite à la prudence : sera-t-il encore vivant l’an prochain ?

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  •             Terminé l’autre nuit, le Journal de guerre de Tereska Torrès paru chez Phébus sous le titre Une Française libre. Avec les présupposés crétins qui sont les miens, jamais je n’aurais été mettre les yeux sur ce livre racontant, par elle-même, la vie d’une soldate gaulliste, s’il n’avait été publié par Jean-Pierre Sicre, le créateur des éditions Phébus, qui en a été licencié récemment par le nouveau propriétaire. C’est souvent comme ça dans l’édition, tu crées une petite entreprise, ça marche bien mais tu t’endettes quand même, un repreneur arrive, récupère l’affaire et te vire.

                Etonnante, cette Tereska Torrès, jeune aventurière rejoignant le général de Gaulle à Londres et qui, bien plus que la guerre, raconte au jour le jour et en toute impudeur comment elle passe de l’enfant à la femme. Une lecture passionnante et une description de la vie des résistants gaullistes loin de l’histoire officielle. Cette jeune fille mérite bien le qualificatif de Française libre, totalement libre.

                D’autres jeunes filles traversent ce journal, telle cette petite-fille du Prince Kropotkine, l’auteur de Paroles d'un révolté et de La morale anarchiste, dont la mort fut l’occasion de la dernière manifestation anarchiste en Union Soviétique, plus d'un million de personnes dans son cortège funèbre, le treize février mil neuf cent vint et un.

                Elle n’en parle pas beaucoup, Tereska, de cette petite Kropotkine dont elle ne donne pas le prénom. Trois fois, c’est tout.

                Onze mai mil neuf cent quarante-trois : «  Il y a une fille adorable à Moncorvo cette année, elle a l’âge que j’avais lorsque je me suis engagée. D’origine russe, elle s’appelle Kropotkine et son grand-père était, je crois, un anarchiste russe. Elle est toute petite et très naïve, comme je l’étais il y a trois ans. »

                Août quarante-trois : « J’étais au restaurant l’autre jour avec Kropotkine. Au moment de payer l’addition, la serveuse nous dit : « C’est fait, des Anglais assis à une des tables, en voyant que vous étiez dans l’armée française libre, ont payé pour vous et sont partis. »

                Deux août mil neuf cent quarante-quatre : « En allant à la caserne l’autre jour, j’ai appris l’affreuse nouvelle : la petite Kropotkine, qui souriait toujours, s’est suicidée. Elle était enceinte. Le père de son bébé a été tué en Normandie. Il était avec nous officier à Camberley. Personne ne savait qu’elle attendait un enfant. Kropotkine, en apprenant la nouvelle n’a rien dit à personne, elle s’est tuée. Elle était tellement jeune. Plus jeune que nous toutes, très profondément jeune et innocente. »

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  •             Courte visite à l’Ecole des Beaux-Arts rouennaise qui présente dans sa grande galerie un échantillon des reproductions réalisées par l’atelier parisien Michael Woolworth, première salle en noir et blanc, deuxième salle toute en couleur, je préfère la première parce qu’on y trouve pas mal d’oeuvres figuratives et j’aime bien qu’on me raconte des histoires.

                Petite sélection toute personnelle : Winter Breathing : bulbes fleuris de Jim Dine, Premier et deux juillet deux mille deux : bizarres oiseaux de Vincent Corpet,  Soudain l’été dernier : silhouettes en maillot de bain de Marc Desgrandchamps, Who is Blake ? silhouettes noires de Jaume Plensa, Sans titre : gisants à poing levé de Djamel Tatah et La bombe de Stéphane Penréach : deux bombes en réalité, l’une atomique et l’autre sexuelle.

                Toute la jeunesse du lieu était là, un petit verre à la main, les fumeurs dehors (ce qui nuit à la découverte des œuvres exposées), il y avait même le Petit Chaperon Rouge.

                En sortant, arrêt devant la vitre de la petite galerie, rue Martainville, où la vidéaste Sophie Roger appuie son échelle sur L’Enfer de Dante et finit par chuter. Comme souvent à cet endroit et dans ce domaine, le plus intéressant c’est la tête des passants qui se demandent ce qui se passe là dans la vitrine : "T’y comprends quelque chose, toi ?"

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  •             Samedi matin, à propos d’un rêve étrange qu’elle me racontait, lequel se passait le quarante-sept février, je lui parlais du Journal d’un fou de Nikolaï Gogol, citait en exemple le mois de martobre, lui parlait de la revue littéraire ayant pris ce nom qui a publié deux ou trois de mes textes.

                -C’est bizarre, j’ai envoyé un nouveau texte à sa responsable, il y a quelques mois, et je n’ai toujours pas de réponse.

                Ce matin, je reçois la lettre d’une inconnue, postée à Rasiguères dans les Pyrénées Orientales. Elle m’écrit : « Bien reçu votre courrier mais Lucile n’est plus là pour vous répondre. En effet, Lucile Négel est décédée le trente novembre dernier. Martobre est donc terminé. »

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