• Ce mardi après-midi, quand je me présente à l’Opéra de Rouen pour y retirer mon billet du concert du soir, un abonné vient y rendre deux billets bien placés. La charmante guichetière échange donc mon fauteuil moyennement situé contre l’une de ces deux places et m’offre une chaise en bordure de scène.

    J’y suis donc assis le soir venu, à l’extrémité de la rangée côté jardin, « votre place préférée » me fait remarquer une spectatrice, qui en a une autre. Je discute un peu avec l’un de mes lecteurs qui me parle de mon « Journal américain », puis me plonge dans le livret programme, Brahms et Brahms.

    Peu de monde dans la salle à la première sonnerie, « Y a pas foule, hein, y sont tous en train de préparer les cotillons » entends-je derrière moi, mais finalement pour un concert de musique de chambre le public est à la jauge habituelle lorsque arrivent les musicien(ne)s.

    Laura Fromentin pianiste, Agathe Blondel altiste, Marc Lemaire violoniste et Jacques Perez violoncelliste donnent le Quatuor pour piano et cordes numéro trois en ut mineur, une œuvre qui justifie l’intitulé de la soirée : « Cordes tourmentées ». « Imagine un homme qui va se brûler la cervelle parce qu’il n’y a pour lui aucune autre solution » disait Johannes Brahms à son biographe Hermann Deiters, à propos du premier thème de son quatuor.

    Je préfère son Sextuor à cordes numéro un en si bémol majeur joué après l’entracte par les trois mêmes cordes et Stéphanie Lalizet altiste (qui ose le blanc), Anaël Rousseau violoncelliste, Hervé Walczak violoniste, particulièrement le deuxième mouvement, mélancolique à souhait.

    Les applaudissements sont chaleureux à l’issue. Il n’est que vingt et une heures quarante-cinq quand je rentre par des rues quasiment désertes.

    *

    Surprise à la boulangerie de la rue Alsace-Lorraine ce mardi matin : la boulangère que j’appelais « Maman » tant elle ressemblait à la mienne défunte, même aspect négligé, même tempérament neurasthénique, n’est plus là, ayant vendu boutique sans qu’elle juge bon de m’en informer. Un boulanger trentenaire la remplace. Il vend son pain dans une annexe pendant que sont lancés des travaux pour rénover la boutique qui perdra ce qui en faisait son charme de boulangerie vieillotte où règne le laissez aller. J’y trouve néanmoins mon habituel campagrain, pour l’instant au même prix.

    *

    Le bon sens populaire à l’œuvre au Socrate ce mardi matin dans la bouche d’une quinquagénaire : « Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi ils ne veulent pas de la nouvelle prison, ils sont enfermés les prisonniers ! »

    *

    La même un peu plus tard à propos de sa femme de ménage : « Mais d’un autre côté, elle est musulmane, elle ne s’en cache pas. »

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  • Quand j’arrive à la gare de Rouen, ce lundi matin, pour y prendre le train de sept heures vingt-six, je constate que l’accès aux quais est filtré par des contrôleurs appuyés par des policiers de la Brigade Ferroviaire, ce que la voix venue d’en haut appelle une « opération accueil embarquement ».

    Je vais m’asseoir, ne tentant pas d’accéder au quai numéro deux avant que le train soit affiché comme je l’ai fait une fois, n’étant pas d’humeur à discuter avec un contrôleur à l’ombre des matraques.

    Lorsque le numéro de quai est enfin affiché, les deux contrôleurs font face comme ils peuvent à la foule pressée de se placer au mieux sur le quai pour espérer une place assise. Sur la voie voisine, le train pour Motteville part avec seulement une vingtaine de voyageuses et de voyageurs à son bord.

    Le train est à l’heure mais il est à un seul niveau. Certain(e)s restent donc debout ou doivent s’asseoir par terre. Bientôt, la voiture où j’ai trouvé place se transforme en dortoir. Quelques ronflements se font entendre. Seule une mâcheuse de chouigne-gomme est à l’ouvrage parallèlement sur trois écrans : ordinateur, tablette et téléphone. Passe sans s’arrêter une équipe de télévision : gros micro et caméra.

    Il fait encore nuit quand le train commence à sérieusement ralentir, sans doute sommes-nous du côté de Mantes-la-Jolie. Au bout d’un moment, la voix du contrôleur réveille les endormi(e)s expliquant que ce ralentissement est dû à « un dérangement des installations de sécurité en gare des Mureaux ». Il annonce un retard de « douze minutes environ ». Quelques-un(e)s soupirent, mais nul(le) ne commente.

    Ce retard s’accentue puisque le train ne retrouve jamais sa vitesse normale. Le contrôleur, dans un nouveau message, évoque « la forte affluence de ce jour » et prie « d’accepter les excuses de l’entreprise si cette affluence à des conséquences sur le confort de votre voyage ».

    De ralentissement en ralentissement, on finit par arriver à Paris. Le contrôleur reprend la parole. Il présente ses excuses pour « ce retard dû à un changement de matériel dû à une pénurie de matériel due au changement climatique de ces derniers jours ». Cette ébouriffante explication fait sourire chacun(e). Il est neuf heures cinq. Nous devions être à Paris à huit heures trente-huit, vingt-sept minutes de retard (pour le billet remboursé, c’est à partir de trente).

    Durant la journée, je vaque à mes occupations habituelles et suis de retour à Saint-Lazare pour y prendre le train de seize heures cinquante. La voix de la gare annonce la suppression du train de Gisors en raison d’« une pénurie de matériel ». Pour celui de Rouen, pas de problème, assez de places assises et aucun retard, j’arrive à dix-huit heures une, comme prévu.

    Pendant mon dîner, je regarde les informations régionales à la télévision. On y diffuse le reportage réalisé dans le train de ce matin suivi d’une interviou de Guillaume Pépy, patron de la Société Nationale des Chemins de Fer, lequel déclare que la ligne Paris Rouen Le Havre a été négligée pendant de très nombreuses années et que c’est fini, on s’en occupe. Le commentateur conclut en indiquant que cette déclaration a maintenant deux ans.

    *

    Boulevard Saint-Germain, une affichette sur une cabine téléphonique : « Demandons à Monoprix de ne plus vendre d’œufs de poulets de batterie. C’est cruel. »

    *

    Mots entendus dans de jeunes bouches parisiennes : babiole (que je croyais disparu), charbonner (que je n’avais pas encore ouï, synonyme de bosser).

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  • C’est enfin les vacances pour celle que j’accompagne et qui n’en a pas eu depuis plus d’un an, un mois de ville en ville en direction des Grands Lacs par des voies détournées. La première étape doit nous mener à Philadelphia (Pennsylvania).

    Après un dernier petit-déjeuner à Convent Avenue, c’est le départ avec les deux valises. La sienne est extrêmement lourde et la descente des escaliers depuis le floor 3 jusqu’au 1 est difficile. Heureusement ensuite la pente de l’Avenue joue en sa faveur. A la station de métro de la 125ème Rue, une vieille femme allumée bénit notre voyage. « Je suis la mère de Michael Jackson » nous dit-elle.

    L’ascenseur nous descend sous terre. Un C nous emmène à Port Authority 42ème Rue, où se trouve le terminal des cars Greyhound. Nous devons prendre celui de 10 a.m. pour Philadelphie. A l’heure dite, il n’est pas là. Arrive un car Peter Pan, chargé de le remplacer. Nous quittons New York avec une demi-heure de retard.

    Le chauffeur nous met d’office un film de Disney nommé Cars, une stupidité à voitures qui parlent. Le son est horriblement fort. Personne ne proteste et je peste de ne pouvoir le faire. Les voyageurs ont dans les trente ans d’âge moyen. Ils s’évadent avec des images sur les genoux et du son dans les oreilles. Le paysage est sans grand intérêt. On frôle l’aéroport de Newark où celle assise à ma droite est arrivée il y a six mois ; puis ce sont des usines d’électricité, des chantiers d’autoroute, des champs de maïs. Je constate qu’aux USA il est permis de doubler à droite. Au bout de deux heures, des buildings sont à l’horizon, c’est l’apparition de Philly. On y entre en passant par la Chinatown locale puis le car nous dépose à Filbert Street.

    On trouve pas très loin le bus 33 et comme on n’a pas de monnaie le chauffeur nous dit de le prendre sans payer. Un passager nous indique le bon arrêt. Un peu de marche et on sonne à la porte de la chambre d’hôtes de Fairmount Avenue où l’on espère être attendus.

    Une gentille vieille dame prénommée Marcia nous ouvre et nous offre un verre d’eau fraîche puis on descend dans le clair sous-sol de la maison où nous disposons d’un vaste studio. Nous nous y sentons bien, pas du tout enterrés, Plein de petites choses à manger et à boire sont à notre disposition.

    Il est 2.30 p.m quand on sort à la recherche d’un restaurant que nous a indiqué notre hôtesse. Il est fermé, la faute au Labour Day. On en trouve un autre au coin de la 24ème rue et de Fairmount Avenue. Le Bishop’s Cellar est un bar à bières très animé (soccer à la télé) à la clientèle jeune, buveuse et sonore. On nous installe à l’une des rares tables libres. Elle choisit une salade au bacon, fromage et tomate et moi un cheesesteak, la spécialité locale : sandwich avec du poulet et du fromage sauce guacamole et frites. Un café pour moi suit mais ici pas de thé.

    Descendant en ville à pied, on tombe sur le gros festival Made in America, trois scènes et Jay-Z en invité d’honneur. C’est sponsorisé par Budweiser. Des grappes de spectateurs se pressent à l’entrée. Certain(e)s portent des tee-shirts et des shorts en drapeau américain. Les policiers sont partout, dont des pelotons de cyclistes. Une longue rangée de motos impeccablement garées est prête à bondir. De nombreuses rues sont barrées et les fontaines interdites pour éviter les baignades.

    Délaissant cette festivité, nous passons devant le Musée Rodin, la Fondation Barnes et le Convention Centers. Derrière les buildings, qui sont loin d’être aussi beaux que ceux de NYC, sont des arrières rues sales et désertes. On fait une pause sur un banc à Rittenhouse Square où nous mangeons des sundaes au caramel et au chocolat qu’elle est allée chercher dans le voisinage. Il fait très chaud. Une fille propose à des assis comme nous de les dessiner contre quelques dollars. Certain(e)s se laissent convaincre. Surgit un défilé du genre Halloween, étudiant(e)s en goguette et encorné(e)s qu’un vieux veut photographier. Deux filles acceptent mais quand il leur demande de se coucher sur la pelouse, elles le plantent là et il file, l’air un peu honteux. Tout à coup c’est l’alerte maximale. Quatre énormes camions du Philadelphia Fire Departement, barrissant et hululant, se garent devant un immeuble pour une mystérieuse alarme ayant trait au sous-sol. J’ai à peine le temps d’en photographier un qu’ils repartent comme ils sont venus, mais sans tintamarre.

    Avant que nous rentrions, elle trouve le courage de quelques courses. Nous dînons d’un peu de chips, de cranberries séchées et d’excellentes figues confites, accompagnés d’un verre de rosé de Californie et au futon où nous dormons particulièrement bien.

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  • « Aujourd’hui, il n’y a plus que les prêtres qui veulent se marier. » disait Louise de Vilmorin, femme de droite, dans les années soixante-dix, une époque pendant laquelle quand des parents demandaient à leurs enfants s’ils comptaient « régulariser », filles et garçons s’esclaffaient et les envoyaient bouillir. Les temps ont changé, sont d’abord revenus les enterrements de vie de jeune fille et de vie de garçon, maintenant ce sont les homos qui veulent se marier.

    Ce samedi à quatorze heures, ai-je appris par la bande au dernier moment, a lieu une manifestation en faveur du « mariage pour tous » devant le Palais de Justice de Rouen. Mariage pour tous, horrible formulation, on ne peut plus dire mariage pour homos, paraît-il, à cause de ceux et celles que ça excite, les borné(e)s de la droite catholique. Je ne suis pas davantage pour ce nouveau mariage que pour l’ancien mais je suis contre qui est contre, ce pourquoi j’y vais.

    J’arrive à l’heure pile. Ne sont présent(e)s que trois étudiant(e)s. Il se met à pleuvoir. Arrivent une poignée de vieux et une Hennepéha sans drapeau, des professionnel(le)s de la manifestation. Du côté des jeunes, dont certain(e)s portent l’autocollant Unef, le nombre grimpe peu à peu. A quatorze heures quinze, nous sommes en tout une vingtaine. La manifestation, mal organisée et donc ratée (une spécialité rouennaise), va se résumer à une distribution de tracs aux passant(e)s faisant leurs courses de Noël. Je préfère ne pas voir ça et rentre à la maison.

    *

    Autre manifestation de la journée, au même endroit, à quinze heures, les antinucléaires prévoient d’organiser une chaîne humaine. Je présume qu’ils ne seront guère plus nombreux et ce sera sans moi, pas envie de m’attacher à l’un(e) de mes semblables. Ce côté si tous les gars du monde pouvaient se donner la main m’exaspère.

    *

    Côtoyer l’extrême gauche m’est de plus en plus difficile, c’est l’une des raisons (pas la principale, je manque souvent de temps) pour lesquelles je ne vais plus au Tribunal Administratif depuis un moment. Il ne faudrait pas croire que c’est parce que ça va mieux pour les Sans Papiers depuis l’élection de Hollande. C’est la même chose qu’avant, en pire. Ainsi Valls vient d’expulser deux lycéens en cours d’année scolaire, ce que jamais Guéant n’avait osé faire.

    *

    Ce gouvernement est pitoyable. Je prends le pari que pour se rattraper d’avoir déçu la Cégété de Florange et la Cégété de Petroplus, il donnera raison à la Cégété de Fessenheim en n’arrêtant pas la centrale nucléaire construite sur une faille sismique.

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  • Noël approche, revoici Laurence Equilbey et accentus au programme de l’Opéra de Rouen dont le sapin cette année est encore plus petit que l’an dernier et coincé au niveau bas, plus de place pour un bel arbre décoré au foyer à cause des deux faux piliers érigés pour accueillir les plans et les photos de la construction du Théâtre des Arts.

    Je suis, au retour de Paris, assis au premier rang près des violoncelles sur une chaise non numérotée, avec pour voisin l’homme au chapeau à qui je fais remarquer la présence sur scène d’enceintes acoustiques. On se demande pourquoi. La salle est bientôt occupée jusqu’en haut du deuxième balcon, le chœur accentus fait toujours le plein. Trois demoiselles restent sans chaises malgré leur billet. Une placeuse vient vérifier quelques billets et vire qui n’a pas le droit d’être là, dont la dame à cheveux blancs devenue coutumière du fait.

    Puccini d’abord avec différents morceaux dont le Salve Regina bellement chanté par la soprano Jenny Daviet accompagnée à l’orgue amplifié (d’où la présence des enceintes) et le chœur à bouche fermée de l’acte deux de Madame Butterfly qui fait appel au talent à l’altiste Agathe Blondel. Contrairement, à ce qu’annonce le livret programme, Jane Peters n’est pas au violon, remplacée par un dont j’ignore le nom, déjà vu sur cette scène et qui en fait des tonnes en matière de gestuelle.

    Fauré prend le relais après l’entracte avec son Salve Regina chanté par le ténor Xin Wang. Le Requiem dans sa version mil neuf cent fait intervenir le baryton-basse Julien Véronèse et Jenny Daviet (dont je ne me lasse pas). Je regarde comment Laurence Equilbey va chercher l’énergie avec ses pieds, faisant ployer le socle de l’estrade, et la conduit jusqu’au bout de sa virevoltante baguette.

    Elle est beaucoup applaudie à la fin, comme le chœur, les solistes et les musiciens de l’Orchestre. En bonus, nous avons droit au Cantique de Jean Racine, puis la chef nous souhaite au nom de tous un Joyeux Noël en lançant vigoureusement un air si connu que j’en oublie le nom.

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  • Il ne pleut plus ou pas encore quand je gagne la gare de Rouen ce vendredi matin. Dans le train de Paris, beaucoup reniflent et l’un se cure le nez avec le doigt avant même que le convoi démarre. Quand on bouge, c’est pour s’arrêter à Sotteville « en pleine voie », comme on dit chez les contrôleurs. Les regards sont inquiets mais ça repart. En ajoutant le ralentissement de la fin, cela ne fait que huit minutes de retard à l’arrivée.

    Le métro Quatorze m’emmène à Sainte-Opportune d’où je vais à pied au Quartier Latin. Chez Boulinier, on vient de sortir sur le trottoir les livres à vingt centimes. J’y fouille sans rien trouver puis vais voir à l’intérieur les cédés de chanson française parmi lesquels on trouve de plus en plus de disques de chanteurs et chanteuses totalement inconnu(e)s et de moins en moins de choses intéressantes. Le téléphone sonne, un vendeur répond :

    -Vous êtes chez Boulinier, monsieur.

    Il raccroche.

    -Qu’est ce qu’il voulait, demande le patron.

    -Il voulait savoir où il était, c’est une bonne question.

    Il pleut quand je sors et pas qu’un peu. J’ai plus de chance avec les bacs à un euro de Joseph Gibert où m’attendaient deux livres du vitupérant et désespéré Raymond Cousse L’Envers vaut l’Endroit, recueil des journaux de voyage à l’étranger publié par Le Dilettante et A bas la critique, recueil de lettres et pamphlets publié chez Cent Pages.

    Il n’y a que deux caissières chez Gibert Joseph ce matin. L’une dit à l’autre « Heureusement que t’es venue » à quoi cette dernière répond « Tu rigoles, j’ai failli pas venir et puis je me suis dit que c’était bientôt Noël » après quoi elle renifle un grand coup pour bien montrer qu’elle est malade.

    Les livres payés, je descends vers la Seine et m’abrite chez Gibert Jeune jusqu’à ce qu’il soit l’heure de mon habituel kebab que je mange tandis que la radio diffuse Problèmes d’adulte par Sexion d’Assaut, la chanson la plus nulle que j’ai entendue depuis un moment, bourrée de clichés niais et de rimes riches.

    Sorti de là, je me rends, sous la pluie et le vent qui ne cessent, à Saint-Germain-des-Prés. Place de Fürstenberg, à la Galerie Art Cube, se tient une exposition David Hamilton. Elle doit être ouverte de dix heures trente à dix neuf heures trente. Oui, mais à midi la grille est baissée.

    Pensant que le propriétaire est parti déjeuner, je me réfugie au Café des Fous, rue de Montfaucon, où après un café je lis Cousse. Dehors, le vent retourne les parapluies. A quatorze heures, je suis à nouveau devant chez Art Cube. C’est toujours clos. Je demande au photographe d’à côté s’il sait quelque chose. Non pour aujourd’hui, mais il était prévu que ce soit fermé lundi et mardi. Il appelle le numéro de mobile de la galerie mais nul ne répond.

    Bien bien, je passe rive droite où il pleut moins, m’attarde un moment chez Mona Lisait. Descendu sous terre à Sainte-Opportune, je ressors dans le centre commercial Saint-Lazare. Un train bondé, où j’ai la chance d’avoir une place assise, me ramène à Rouen suffisamment tôt pour que j’assiste au concert du soir à l’Opéra.

    *

    Deux jeunes hommes dans la rue à Châtelet :

    -Ils sont agressifs les gens, c’est pas possible.

    -Oui, je sais pas ce qui se passe cette année, y a pas l’esprit de Noël.

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  • Pour notre dernier jour à Harlem, celle qui m’y accueille est libre de sa journée. Nous nous débarrassons de la corvée du linge sale à l’habituelle laverie puis partons pour l’East Side avec l’envie d’y voir la maison des frères Marx mais d’abord, on déjeune dans un restaurant de la Deuxième Avenue. La serveuse qui s’occupe de notre table est particulièrement mal aimable avec nous. Elle est bientôt recadrée par ses collègues et nous sert avec le sourire un demi poulet accompagné de purée pour moi, une salade de poulet pour elle, un café et un thé.

    La maison de Sam et Minnie Marx, dans laquelle Zeppo, Chico, Harpo et Groucho passèrent leur enfance entre mil huit cent quatre-vingt-quinze et mil neuf cent dix, se trouve au 179 East 93rd Street, à l’angle de Lexington Avenue. Nous en faisons quelques photos puis gagnons Central Park où l’on tourne autour du Reservoir jusqu’à ce que l’on ait trop chaud. Nous nous couchons alors dans l’herbe et faisons un somme parmi les écureuils.

    Au réveil, elle fume une cigarette interdite puis on prend un métro C qui nous ramène à Convent Avenue. C’est le moment de faire les valises et le ménage. La mienne est vite faite. La sienne doit contenir six mois de vie new-yorkaise. Pendant qu’elle s’emploie à tout caser, je glande dans la cuisine à proximité du ventilateur, renonçant pour cause de chaleur excessive à faire une dernière sortie photographique dans Harlem. Quand elle en a fini, le poids de sa valise lui promet quelques soucis.

    Nous prenons un ultime repas dans l’appartement partagé. J’espère ne pas en oublier la chambre et la cuisine à l’allure vieillotte, le long couloir étroit éclairé par un plafonnier qu’on allume en tirant sur une chaînette, les prises électriques antédiluviennes, le mobilier et l’électroménager démesurés, les fenêtres à guillotine, la douche dans la baignoire.

    Ron, le colocataire qui ne faisait que manger et regarder la télé, s’en va aussi demain, retour à Puerto Rico après quatorze ans de présence à Convent Avenue. Pour nous, c’est le début d’un voyage d’un mois en direction des Grands Lacs et les premières vacances depuis longtemps de celle que j’accompagne.

    *

    Les extraits de séries américaines vues par hasard avant d’être dans le pays me laissaient croire que les actrices et les acteurs surjouaient. Pas du tout, c’est ainsi que se parlent les New-yorkais(e)s, avec souvent des voix haut perchées et déplaisantes (il faut bien le dire) chez les femmes, basses et agréables chez les hommes. Se parler à NYC, c’est se regarder dans les yeux.

    *

    Automatismes verbaux : « How are you doing ? », «You’re welcome! », «Enjoy you taste! », «Take care! », «Have a great day! ».

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  • Malgré le froid, prenant mon courage à deux pieds, je traverse la Seine et me rends à l’hebdomadaire marché aux livres et à la brocante de la rive gauche. Chassé des Emmurées par la déconstruction du parquigne bourré d’amiante, il a triste mine ce jeudi matin sur le cours Clemenceau où moins d’une quinzaine de marchand(e)s sont présent(e)s. Côté bouquinistes, hormis la vieille vendeuse d’Harlequin, n’est là que Joseph Trotta.

    Aucun livre dans mon sac lorsque je repasse la Seine, alors que tombe un vague grésil. Je passe chez mon habituelle boulangère et retrouve la rue de la République qui a du mal à se remettre des travaux de l’été dernier.

    Ça et là de gros pansements de bitume noir colmatent les plaies laissées par des pavés disparus. Certaines des malingres plantes vertes garnissant les pseudo bancs qui empêchent les voitures de se garer côté remontée vers la Mairie ont été arrachées. Côté descente vers la Seine, les conteneurs à ordures enterrés ne sont toujours pas en service, entourés de barrières provisoires qui durent

    Cette rue mise en zone trente du temps de la Mairie de droite est repassée en zone cinquante, ce qui rend sa traversée périlleuse, comme je le constate mon pain à la main. A l’entrée de la rue Saint-Romain (voie piétonnière virtuelle), un panneau zone trente est apparu près d’un pansement de bitume noir sans que soit ôté l’ancien limitant la vitesse à quinze kilomètres.

    Face à ce gâchis de gauche remplaçant le gâchis de la droite, je me demande ce qu’est devenue la plainte portée par l’ancien Maire contre le responsable des travaux de la précédente rénovation. Aucun journal local n’a jugé bon d’enquêter sur cette affaire.

    *

    En revanche, la presse du coin se régale avec l’histoire de la boîte de nuit de Gournay-en-Bray dont la jeune striptiseuse est allée sucer plus d’une dizaine de présents sur la piste de danse, parmi lesquels un mineur de quinze ans. L’établissement est désormais fermé, une plainte ayant été déposée, pas par le branlotin assurément.

    *

    Je suis souvent au Socrate en début d’après-midi où je bois un café avant lecture ou écriture. Ce café semble le lieu de prédilection de celles et ceux qui se font face physiquement pour la première fois après s’être croisés sur un site de rencontres. Souvent, la conversation de ces quadragénaires tourne mal, elle déçue par lui et réciproquement. On en vient à parler de la famille, chacun ayant des enfants. Ainsi hier mercredi, l’un à l’une :

    -Ma plus jeune fille, elle, s’occupe d’autistes et de psychotistes.

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  • L’actuel Théâtre des Arts fête ses cinquante ans ce mardi soir, un évènement précédé d’expositions d’archives et de costumes ainsi que d’une table ronde « J’y étais » (pas moi, il aurait fallu que je naisse dans une autre famille) consacrée à la première du onze décembre mil neuf cent soixante-deux (on y donna Carmen).

    Cela sent le manque de moyens financiers mais on a quand même sorti le projecteur laser dont le rayon balaie le ciel et le tapis rouge sur lequel s’essuient les chaussures.

    Comme j’ai une place devant la scène sur une chaise non numérotée, je suis là tôt devant la porte, appuyé contre l’un des piliers. Une main se pose sur mon épaule et une voix me lance un chaleureux salut. Hélios Azoulay est là, dont je sais par Paris Normandie, lu au Socrate, qu’il est au programme avec une nouvelle composition inspirée par le monde polaire.

    La chaise atteinte, je me plonge dans le livret programme où une double page ressuscite les écrits de Roger Parment, l’exemple même du journaliste aux ordres du pouvoir, là purement descriptif du bâtiment, tandis qu’un film que peu suivent évoque en boucle la première fois au Théâtre des Arts de certain(e)s et les souvenirs d’un ancien musicien et d’employés de l’endroit.

    Le rideau levé, sous la direction de Julien Masmondet, l’Orchestre joue Mozart, l’Ouverture de Don Giovanni suivie de l’Air du catalogue interprété par le baryton-basse Julien Véronèse, l’un des quatre de la Compagnie (deux jeunes chanteuses et deux jeunes chanteurs en résidence à l’Opéra pour deux ans).

    Arrive Frédéric Roels, maître des lieux, qui excuse les élus Le Vern et Robert retenus à Paris, le second tentant d’arriver avant la fin, puis évoque Chopin à Rouen où il donna son Concerto pour piano numéro un. Ce soir, c’est Frédéric Aguessy qui est au piano pour le deuxième mouvement.

    Retour de Frédéric Roels qui narre les mésaventures de Pierre-Jean Garat venu à Rouen pour un concert durant l’époque révolutionnaire et qui y passa quelques mois en prison pour insolence. Il y composa une chanson qu’il interpréta à sa sortie, avec Boieldieu au piano. Cette Complainte du troubadour est chantée ce soir par Xin Wang, ténor de la Compagnie.

    Au tour de Saint-Saëns, Frédéric Roels parle de sa statue élevée de son vivant et Tayana Ilyin (mezzo-soprano de la Compagnie) chante Mon cœur s’ouvre à toi tiré de Samson et Dalila.

    Un membre du staff dont j’ignore le nom vient lire un extrait de Madame Bovary. Cette rêveuse est au Théâtre des Arts, l’ancien, où l’on donne Lucia di Lammermoor de Donizetti. Jenny Daviet, soprano de la Compagnie, au regard filou, en chante Regnava nel silenzio.

    Cette première partie s’achève avec le premier mouvement de L’Eté des Quatre Saisons de Vivaldi, le rapport entre ce musicien et Rouen ? Aucun, mais l’Orchestre vient de faire un cédé sans risque où figure cette œuvre (en vente au foyer exceptionnellement à douze euros en ce jour de fête).

    Après l’entracte, ça repart bien avec le retour de l’espiègle Jenny Daviet pour La Ballade de Jenny extraite de La Dame blanche de Boieldieu lequel, Frédéric Roels dixit, n’est pas qu’un pont de Rouen.

    Le seul compositeur vivant de la soirée prend ensuite la parole avec la faconde qu’on lui connaît. Il exprime les deux questions que se pose le public : « Est-ce un imposteur ou un génie ? » « Sera-ce beau ou ennuyeux ? ». « Pourquoi pas les deux » répond-il avant de broder sur les paradoxes jusqu’à presque s’enfoncer dans la neige du Grand Nord. Il a une excuse :

    -Je ne résiste pas au plaisir de pouvoir dire des choses intelligentes devant mille trois cents personnes. C’est tellement rare. Pour vous.

    Hélios Azoulay finit par diriger La Mort blanche, une création mondiale interprétée par Frédéric Aguessy, quelques musicien(ne)s de l’Orchestre, les quatre de la Compagnie et un chant enregistré peut-être réellement inuit. Ce n’est ni beau ni ennuyeux, c’est mieux que ça.

    Retour aux morts ensuite avec Liszt dont Frédéric Aguessy joue la Mort d’Isolde (d’après Wagner), suivi de Wagner (sa musique fut appréciée à Rouen avant de l’être à Paris) dont l’Orchestre donne Siegfried-Idyll et d’Offenbach dont Tatyana Ilyin et Jenny Daviet chantent la Barcarolle des Contes d’Hoffmann.

    Cette bien bonne soirée s’achève avec l’annonce du changement des fauteuils de ce vieux Théâtre des Arts l’été prochain (soupirs de soulagement dans la salle).

    *

    Ce mercredi douze douze douze, je ne manque pas de publier à douze heures douze.

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  • L’on s’obstine à attribuer à mes circonstances matérielles ce qu’on ne doit qu’à mon entendement se plaignait Giacomo Leopardi dont je viens de lire des textes choisis, traduits de l’italien et présentés par René de Ceccaty une sélection publiée chez Rivages poche sous le titre Philosophie pratique. Leopardi fait allusion à sa laideur, à son nanisme et à sa bosse.

    Ces extraits sont tirés de sa grande œuvre en prose, le Zibaldone, un journal philosophique de près de cinq mille pages. Je referme le livre de fragments après avoir fait ma propre sélection :

    L’homme hait autrui par nature, et nécessité, et par conséquent, tout comme les autres animaux, il est naturellement disposé contre le système social. Comme la nature ne saurait jamais être vaincue, nous voyons qu’aucune république, aucune institution, aucun ordre, aucun moyen moral, politique, philosophique, d’opinion, de force, de circonstance quelconque, de climat, etc. n’a jamais suffi, ni ne suffit, ni ne suffira à faire que la société marche comme on voudrait… (deux novembre, jour des Morts, mil huit cent vingt-deux)

    On désire bien souvent la compagnie de quelqu’un, on y trouve une pâture, un plaisir nouveau et extraordinaire : on ne voit pas bien pourquoi, mais on l’attribue à l’amabilité de ses manières et de son caractère. La raison véritable, c’est qu’il sait faire en sorte que nous nous estimions plus que nous ne le faisions jusque-là, ou nous conforte dans la bonne opinion que nous avions de nous. (quinze janvier mil huit cent vingt et un)

    L’homme est ahuri de voir vérifiée dans son propre cas la règle générale. (quatre décembre mil huit cent trente-deux)

    Deux vérités que les hommes généralement ne croiront jamais : l’une est de ne rien savoir, l’autre de n’être rien. Ajoute la troisième, qui dépend essentiellement de la deuxième : de n’avoir rien à espérer après la mort. (seize septembre mil huit cent trente-deux)

    L’égoïsme commun cause et nécessite l’égoïsme de chacun. Car quand personne n’agit pour toi, tu ne peux vivre qu’en te consacrant exclusivement à toi-même. Et quand les autres t’enlèvent tout ce qu’ils peuvent, et pour leur propre avantage se préoccupent peu du tort qu’ils te font, si tu veux vivre, il convient que tu luttes pour toi-même et leur disputes tout ce que tu peux. (deux janvier mil huit cent vingt et un)

    Enfin ceci, qui est plus que jamais vérifiable quoique certain(e)s ne passent pas par le premier stade :

    Trois états de la jeunesse : 1. espoir, peut-être le plus pénible de tous. 2. désespoir  furibond et rebelle. 3. désespoir résigné. (mil huit cent vingt-cinq)

    *

    A ne pas jouer le jeu de la flatterie avec Alain Aubourg, je savais bien ce que je risquais ; mais s’en prendre à celle qui était avec moi chez point de vues en lui faisant jouer le rôle d’une cruche, c’est vraiment bas.

    Le Major, pour la susceptibilité, rien à prouver ; pour l’élégance, on repassera.

    *

    Il était pourtant bien aimable quand il me demandait de chercher à Paris un livre quasiment introuvable pour l’une de ses filles. M’a même offert l’une de ses Cathédrales en remerciement quand je l’ai rapporté.

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