• Où boire un café en lisant tranquillement à Rouen vers quinze heures le dimanche entre Noël et Jour de l’An ? Pas au Bar des Fleurs envahi par les familles bourgeoises n’ayant pas encore fini de manger le repas qu’elles n’ont pas eu le courage de confectionner chez elles. Pas davantage dans les quelques cafés ouverts près de la gare occupés par tout un tas de laissés pour compte. Pas plus dans les cafés proches du marché de Noël remplis de familles de pauvres venues de la périphérie. Ailleurs ? C’est fermé. Il est temps d’aller s’aérer l’esprit à Paris, ce que je fais le lendemain lundi.

    J’attrape à Saint-Lazare un bus Vingt-Sept qui m’emmène à Saint-Michel où j’explore en vain les casiers de Boulinier et Gibert Joseph, consulte le plan des bus et constate que le Quatre-Vingt-Six, passant rue des Ecoles, peut me déposer devant le Book-Off de la Bastille.

    Un vieil homme est là, à ses pieds d’énormes sacs de livres, à son côté son fils quinquagénaire qui, semble-t-il, a convaincu son père de se débarrasser de sa bibliothèque où étaient de très bonnes choses d’après ce que je vois à la surface. Le vieil homme a un accent qui montre une origine étrangère. Il ne cesse de parler avec volubilité des livres qu’il pose sur le comptoir. De temps en temps, il en attrape un qu’il met près de lui « ah non, celui-là, je le garde ». Le personnel de Book-Off, bien que français, garde la froideur japonaise qui sied à cette entreprise nipponne.

    Il ne reste nulle trace du forfait quand je me présente au comptoir avec mes livres achetés, dont Cadence de Stéphane Velut, publié chez Bourgois, l’histoire d’un peintre à Munich, en mil neuf cent trente-trois, chargé de faire le portrait d’une enfant pour louer l’avenir radieux de la nouvelle Allemagne et qui se cloître en compagnie de son modèle dont il fait tout autre chose.

    Le Péhemmu chinois d’à côté étant fermé pour raison de vacances, c’est au Café des Phares que je déjeune d’une cuisse de canard confite aux pommes sautées. A ma droite deux copines de travail, l’une ne sait pas si elle sera invitée quelque part pour le réveillon du Jour de l’An, l’autre sera dans la famille de son copain mais celui-ci travaillait à Noël :

    -Je n’étais pas toute seule, dit-elle, j’étais avec mon sapin.

    Leur discussion porte ensuite sur la quenelle du Dieudonné dont elles ne disent pas grand-chose. Les serveurs sont jeunes, minces, aimables et rapides, le café offert avec le plat du jour, le quart de vin fort bon, l’addition de quinze euros cinquante.

    Avant qu’il ne pleuve, je rejoins à pied le Quartier Latin et repasse chez Joseph Gibert dont les bacs ont été renouvelés. J’y trouve Le Bordel de Soroca de Benoît Rayski (Denoël), une enquête sur les traces de Malaparte qui le visita et en fit une nouvelle, des jeunes filles juives y étaient enfermées pour les besoins de l’armée allemande et au bout de quinze jours assassinées à bord du Dniestr puis remplacées par d’autres.

    Un Vingt-Sept me conduit ensuite vers le Book-Off de l’Opéra où m’attendaient des livres dont j’ignorais jusqu’à l’existence : Jean Genet et Tennessee Williams à Tanger de Mohamed Choukri (Quai Voltaire), Discours sur Shakespeare et sur monsieur de Voltaire de Giuseppe Baretti (Anatolia), Fautrier l’enragé de Jean Paulhan (Gallimard) et Lettres de Claire Girard, une jeune fille fusillée par les soldats nazis le vingt-sept août mil neuf cent quarante-quatre (Roger Lescaret).

    *

    Cette polémique de la quenelle du Dieudonné, comment y échapper ? Sa tête au regard de paranoïaque où je devine une haine de soi est partout. Son salut nazi qui bande mou aussi, repris par ce foutu fouteux français jouant en Angleterre jurant qu’il ne s’agit que d’un geste antisystème (un millionnaire antisystème !).

    Cet ancien comique de télévision, dont l’un des enfants a pour parrain le père Le Pen, ne serait rien sans les centaines de milliers de bas du front qui font moutons de Panurge, mélange d’extrême droite, d’extrême gauche et d’extrême dérision façon Canal Plus.

    Des jeunes pour la plupart. Ce qui augure bien de l’avenir.

    *

    Il n’empêche que je suis contre la censure.

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  • J’ose m’exprimer ainsi. est-il inscrit en quatrième de couverture. C’est ce qu’il fait dans Mes Inscriptions (1943-1944), Louis Scutenaire, l’auteur belge republié par Allia pour deux de ses volumes. Celui-ci est le premier, acheté pour la moitié de son prix à la libraire Galerie de la Sorbonne, rue des Ecoles. En couverture est une petite fille nue d’Egon Schiele n’ayant rien à voir avec le contenu. Les Inscriptions sont à Louis Scutenaire ce que sont les Papiers collés à Georges Perros, un collection de notes plus ou moins développées parmi lesquelles mes préférées sont les plus courtes.

    Ma sélection est surtout issue du début du livre, il y a pas mal à jeter, de plus en plus en avançant dans la lecture, mais les pépites sont brillantes :

    L’homme est un idiot ; y compris Pascal.

    Si leurs dates avaient correspondu, nul doute que Jack l’Eventreur eût été William Blake.

    Je pèche par excès de génie, d’intelligence et de sensibilité.

    Le marquis de Sade sortit à cinq heures.

    La solitude et la promiscuité sont les deux contraires les plus identiques du monde.

    Il est heureux que les hommes soient lâches.

    C’est un livre admirable, comme il y en a tant.

    Un vrai Don Juan se branle.

    Si on ne me lit plus dans mille ans, on aura tort.

    Un monde se condamne, qui pense à Napoléon quand il est question de grandeur, et à Sade quand il est question d’ordure.

    L’Autriche. L’homme aussi.

    De la fréquentation de son pénis on tire des satisfactions inépuisables.

    On est toujours puni pour le mal qu’on n’a pas fait.

    Au pays des muets les aveugles sont sourds.

    Je suis trop honnête pour être poli.

    J’aime de plus en plus les hommes simples comme moi.

    On t’aime pour tes vices et non pour tes défauts.

    Si j’étais Dieu, je croirais en lui.

    Quand je me trompe, c’est que l’on me donne tort.

    Dans cette société où les riches travaillent !

    Je prends le monde tel que je suis.

    C’est mon opinion ; et je ne la partage pas.

    J’y trouve aussi cet intéressant conseil technique :

    Abordage :

    Bonjour, Mademoiselle, puis-je accepter un verre ?

    Scutenaire parsème ses pensées de citations d’autrui, parmi lesquelles j’aime beaucoup ce mot de la criminelle Violette Nozière :

    Mon père oubliait parfois que j’étais sa fille.

    Il pratique aussi, dans ces Inscriptions, la littérature de liste, petit extrait de celle de celles dont il fut l’amant en rêve ou pour de vrai, je ne sais :

    Il y en a qui pleurèrent, il y en a qui sont dans des villes où je n’irai pas, il y en a qui respiraient à peine, il y en a qui voulaient que je danse, (…) il y en a qui eurent confiance, (…) il y en a qui m’aidaient  (…) il y en a qui étaient toutes petites (…) il y en a qui étaient graves et c’étaient celles que j’aimais le mieux, il y en a une qui m’a fait de la peine, (…) il y en a dont la beauté excitait les jeunes garçons  (…) il y en a qui n’avaient qu’une seule robe (…) il y en a qui furent prêtes à tout, il y en a qui s’ennuyaient, (…) il y en a qui ne sauront pas que je suis mort (…) il y en a qui étaient secrètes, il y en a une qui m’a consolé, il y en a qui ont souri, il y en a qui fumaient, il y en a qui n’ont rien dit.

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  • Rouen entre les deux fêtes, c’est l’envahissement des rues par tout un tas d’oisifs déambulant en famille et sans but. Les cafés ne sont pas plus tranquilles puisque les mêmes s’y succèdent dans le but d’aller aux toilettes. Pour trouver un peu de calme, j’entre ce vendredi après-midi à la galerie du Pôle Image où je suis assuré de ne trouver personne d’autre que l’ancienne élève de l’Ecole des Beaux-Arts n’étant pas devenue artiste qui en assure le gardiennage. On y montre les œuvres d’un autre ancien des Beaux-Arts de Rouen, ayant lui réussi, Charles Fréger, grand voyageur, connu pour ses photos ethnographiques autant qu’artistiques, des images en couleurs et en séries montrant des humains en tenue d’apparat, militaires, patineuses, sikhs ou encore majorettes (une espèce en voie de disparition).

    -J’ai entendu dire que la galerie est menacée de fermeture, dis-je à sa gardienne.

    Elle me le confirme. Une décision du Conseil Régional est attendue pour juillet prochain. Sorti de là, je vais à l’abbatiale Saint-Ouen où se tient l’autre partie de l’exposition, celle montrant le travail récent de Charles Fréger, mais ce n’est pas le jour, l’endroit est fermé.

    Je m’y présente à nouveau ce samedi matin. Wilder Mann occupe le tour de la nef, photos d’hommes ensauvagés le temps d’une fête traditionnelle, prises souvent dans des pays de neige au nord et à l’est de l’Europe, peaux de bête, bois de cerf, tissus colorés, masques en bois, plumes et clochettes. Une jeune personne faisant office de médiatrice (comme on dit maintenant) m’apporte un recueil explicatif, ce qui me permet d’apprendre que ces costumes sont de sortie soit pour la Saint-Nicolas, soit au Nouvel An, soit aux Jours Gras, quand il s‘agit de faire peur aux pécheurs ou aux moutards et aussi de courir après les filles.

    Cette bonne exposition, dont l’affiche ici montre une photo peu attirante, est passée par le Mac/Val et Anvers avant d’arriver à Rouen. Je ne sais si là-bas on donnait comme ici la possibilité au public d’enfiler une tenue d’homme sauvage pour se faire photographier sur fond de neige, ce qui me consterne.

    *

    Dans le cadre de la disneylandisation de Rouen, cette abbatiale Saint-Ouen verra en avril une forêt poétique pousser en son intérieur par le truchement de la technique moderne, ai-je appris cette semaine. Gothique frémissant aura le soutien de la Matmut et la voix de Michael Lonsdale.

    *

    Au retour, j’écoute l’émission hebdomadaire consacrée à l’économie sur France Culture. L’invité en est Paul Jorion, anthropologue, sociologue, spécialisé dans les sciences cognitives de l'économie, qui, le trente novembre deux mille onze à cette même radio, comme je l’ai noté dans ce Journal à la date du lendemain, annonçait pour très bientôt la fin du capitalisme, déclarant : « Il est même déjà mort. Le cœur a fondu. »

    Ah, les belles histoires de l’oncle Paul.

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  • Sous des vêtements masculins et une personnalité d’emprunt, je campais alors dans les douars du caïdat de Monastir, en compagnie de Si Elarhby, khalifa. Le jeune homme ne se douta jamais que j’étais une femme. Il m’appelait son frère Mahmoud et je partageais sa vie errante et ses travaux…,  écrivait Isabelle Eberhardt dans ses Journaliers lus autrefois. D’elle, je viens de lire les Ecrits intimes publiés chez Payot, un livre à un euro de chez Book-Off.

    Ces Ecrits intimes sont sa correspondance avec les trois hommes qu’elle a le plus aimés, son frère Augustin de Moerder et deux de ses amants Ali Abdul Wahab et Slimène Ehnni.

    Isabelle Eberhardt est née le dix-sept février mil huit cent soixante-dix-sept à Genève d'une mère issue de la noblesse russe d'origine allemande, Nathalie de Moerder (née Eberhardt et mariée au général Pavel de Moerder), et d'un père né en Arménie, Alexandre Trophimowsky, le précepteur des enfants, d’idées anarchistes. Après la mort du général, elle s'installe en mil huit cent quatre-vingt-dix-sept à Bône (Algérie) avec sa mère qui y mourra quelques mois plus tard. Isabelle vivra alors dans les quartiers indigènes, fuyant les Européens qu'elle déteste (son frère Augustin l’a précédée dans cette vie aventureuse, fuguant plusieurs fois après avoir piqué dans la caisse familiale puis s’engageant dans la Légion Etrangère qu’il fuira, il se suicidera en mil neuf cent vingt). S’ensuivent de nombreux allers et retours entre l’Europe et l’Afrique du Nord, une conversion à l’Islam, un mariage avec Slimène qui la fait française et une mort accidentelle à l’âge de vingt-sept ans.

    L’Armée française, dans un rapport daté du vingt-cinq novembre mil neuf cent, la décrit ainsi : « De l’ensemble de ce que j’ai vu et de ce qu’on m’en a dit il résulte que Mlle Eberhardt professe des idées assez avancées et est lancée dans le mouvement féministe et socialiste actuel, mais n’a aucun parti pris contre l’armée ; au physique c’est une névrosée et une détraquée et j’incline à croire qu’elle est venue à El Oued principalement pour satisfaire sans contrôle dans un pays peu fréquenté par les Européens ses penchants vicieux et son goût pour les indigènes. »

    Mademoiselle Eberhardt est une insoumise, et insoumise elle restera, même après son mariage avec un musulman :

    J’ai pu admettre que cet homme fut mon amant, car il était fait pour me donner ce que je cherchais –la volupté– mais maintenant, je ne veux pas lui sacrifier le seul trésor que j’ai sur terre : ma liberté. (à Ali Abdul Wahab, le dix-neuf janvier mil huit cent quatre-vingt-dix-huit)

    En nous occupant de travaux domestiques, vous concevez que nous perdons absolument un temps d’autant plus précieux que ce sont les meilleurs jours de notre jeunesse. Augustin a eu vingt-huit ans en décembre dernier, et moi vingt-deux en février prochain. (…)

    Vous ne pouvez pas imaginer toute l’étendue d’une pareille souffrance. J’aurais tant à faire, tant à lire, tant à étudier, tant à écrire. Et au lieu de cela, il faut scier du bois, laver des planchers, pomper de l’eau ! Quelle affreuse vie que la nôtre, Ali ! (à Ali Abdul Wahab, le dix-sept janvier mil huit cent quatre-vingt-dix-neuf)

    Au conseil de guerre, (…) l’on m’a toujours dit : «  Nous comprenons bien que vous portiez des vêtements d’homme, mais pourquoi ne vous habilleriez-vous pas en Européen ? (à Slimène Ehnni, son amant engagé dans l’Armée française, le vingt-neuf mai mil neuf cent un)

    Oui, certes, je suis ta femme, devant Dieu et l’Islam. Mais je ne suis pas une vulgaire Fathma ou une Aïcha quelconque. (à Slimène Ehnni  le vingt-trois juillet mil neuf cent un)

    En octobre mil neuf cent quatre, mettant fin à une longue séparation due à ses obligations militaires, Slimène arrive à la gare d’Aïn-Sefra où l’attend Isabelle. Quelques heures après, le vingt et un au matin, l’oued en crue inonde la ville. Slimène est sauf mais Isabelle est introuvable. Six jours plus tard, Lyautey envoie ce télégramme : « Corps d’Isabelle Eberhardt retrouvé sous décombres. »

    *

     Dans une lettre à Ali Abdul Wahab, le dix novembre mil huit cent quatre-vingt-dix-huit, Augustin de Moerder cite cet intéressant passage de Chamfort qu’il qualifie d’–auteur français– très pessimiste et ironiste :

    La nature ne songe qu’au maintien de l’espèce, et pour la perpétuer, elle n’a que faire de notre sottise. Qu’étant ivre, je m’adresse à une servante de cabaret ou à une fille, le but de la nature peut être aussi bien rempli que si j’eusse obtenu Clarisse après deux ans de soin, au lieu que ma raison me sauverait de la servante, de la fille et de Clarisse même peut-être.

    A ne consulter que la raison, quel est l’homme qui voudrait être père et se préparer tant de soucis pour un long avenir ? Quelle femme, pour une épilepsie de quelques minutes, se donnerait une maladie d’une année entière. La nature, en nous dérobant à notre raison, assure mieux son empire : et voilà pourquoi elle a mis de niveau sur ce point Zénobie et sa fille de basse-cour, Marc Aurèle et son palefrenier.

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  • Très longtemps que je ne suis pas allé au marché des livres et de la brocante sis boulevard Clemenceau depuis que la place des Emmurées est en travaux. Comme ce jeudi matin je vais voir si ma voiture n’a pas souffert de la tempête, je fais le crochet, m’attendant à n’y voir guère de marchand(e)s.

    C’est pire que je n’imaginais, une seule est présente, pour qui le boulevard est interdit à la circulation : la vieille vendeuse de littérature populaire à qui celle qui était avec moi ce mercredi après-midi pour un supplément de Noël (truite fumée, petits fours, fromages, tartes au citron, gewurztraminer) avait acheté autrefois, quand elle était en classe préparatoire au lycée Jeanne-d’Arc, une trentaine d’Harlequin pour un exposé en forme de performance.

    Pourtant, je pensais quand même trouver là Joseph Trotta qui désencombre depuis un certain temps son magasin où l’on ne peut plus entrer en vendant sa bonne littérature sur les marchés et celle que l’on reconnaît à son grand rire, pourvoyeuse à la fois de livres de qualité et de tout venant, qui une fois nous avait bien fait rire, celle qui me tenait la main et moi, en demandant à sa fille :

    -Passe-moi la caisse d’amour, mon cœur.

    Il s’agissait évidemment des Harlequin. Je vais voir la courageuse dame.

    -Vous êtes bien seule ce matin.

    -Oui, les autres devaient venir mais ils sont pas là.

    Je lui demande comment c’était les autres jeudis. « Pas grand monde, me dit-elle, heureusement qu’on doit rejoindre les Emmurées le quinze mars. »

    Effectivement, sinon ce marché finirait par disparaître sans que nul ne s’en émeuve et peut-être même s’en aperçoive, comme a disparu place Lelieur le marché bio.

    *

    Rouen, rue des Bons-Enfants, ce jeudi matin, une quadragénaire au louque de garçonne et son élégante vieille mère à chapeau, toute vêtue de bleu ciel, qui s’attarde devant chaque vitrine :

    -Allez, viens maman, on y va maintenant, il pleut.

    -Mais vas-y toi, ne m’attends pas, je pense que tu as tes clés, ne m’attends pas, vas-y.

    *

    Au Socrate : filles qui se montrent les unes aux autres leurs textos d’amour. Deux garçons aussi.

    Le premier a une copine mais est sorti (comme on dit) avec une autre fille qui a elle-même un copain, il lit à l’autre ce que lui a écrit cette fille :

    -A me fait, j’ai passé une super soirée avec toi.

    -A me fait, t’es juste parfait.

    -A me fait, je t’aime.

    Le deuxième :

    -Fais gaffe qu’a te sorte pas, je vais quitter Romain pour toi. Tu peux pas te mettre avec une fille comme ça.

    *

    Le comble de l’optimisme commercial : espérer vendre des bonnets de Noël le lendemain de Noël.

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  • Dimanche après-midi, celle venue de Paris repartie, faisant un détour pour éviter l’énervant marché de Noël, je vais à l’Opéra où le chœur accentus est une nouvelle fois chargé du concert de Noël. J’ai une place en orchestre. Devant moi est assise une femme à gênante crinière de lionne qui me donne à penser qu’on n’a pas coupé assez de têtes à la Révolution. Derrière moi, c’est un groupe de retraitées de l’Education Nationale. L’une évoque le concert Carmen intime donné récemment pour l’Opéra à la salle Sainte-Croix-des-Pelletiers dans une mise en scène de Frédéric Roels : « C’était mauvais », dit-elle. J’ai donc bien fait de ne pas y aller, me dis-je. En janvier, j’éviterai de même l’opéra participatif annuel, une marotte du même Roels. Cette saison, c’est Wagner qui va morfler. Aujourd’hui, il est également question d’une participation du public, à mon déplaisir.

    Pour l’instant, c’est un percussionniste joueur de tambour qui entre en scène, suivi d’accentus en formation restreinte. Ils interprètent L’enfant au tambour dans sa langue d’origine. Laurence Equilbey n’est pas là. Deux des chanteurs se chargent de la remplacer. Un pianiste est aussi de la partie quand s’enchaînent les chants de Noël de l’Europe du Nord, d’Allemagne, de Grande-Bretagne, de France et des Etats-Unis. Pour ces derniers, malgré les efforts de duettistes, il manque ce que l’on ne peut traduire en français : le swing. Un premier bonus offre un Noël sud-américain puis monte sur scène un groupe de spectatrices et spectateurs de tous les âges ayant travaillé depuis des mois avec l’une des chanteuses d’accentus.

    En compagnie des professionnel(le)s, ces amateurs reprennent trois des chants déjà interprétés. A l’issue, un bouquet de fleurs fait son apparition qu’une chanteuse d’occasion colle entre les mains de la plus jeune des fillettes présentes. Cette dernière, pestant intérieurement d’avoir à porter ça à la cheffe de chœur, lui jette les fleurs et s’échappe avant le baiser de remerciement. On n’en a pas fini avec le spectacle de fin d’année, tout ce beau monde propose à la salle de chanter un Petit Papa Noël arrangé dont les paroles ont été réduites à un simple Ou Ou. Nul ne chante autour de moi et ailleurs peu nombreux sont celles et ceux qui répondent à l’invitation. Sur cet échec, chacun(e) rentre chez soi.

    *

    Lundi vingt-trois décembre deux mille treize, la bonne nouvelle du jour est la libération anticipée de Maria Alekhina et Nadejda Tolokonnikova, les deux courageuses Pussy Riot, ce bouffon de Poutine voulant faire bonne figure à l’approche des Jeux Olympiques de Sotchi pour lesquels aucune personnalité politique française de premier plan ne se rendra à la cérémonie d’ouverture, a déclaré Laurent le Fabuleux. Ce pourquoi c’est Valérie Fourneyron, ancienne Maire de Rouen, qui ira.

    *

    Tempête toute la nuit de lundi à mardi, peu fermé l’œil avec tous ces bruits d’origine inconnue. Ce mardi matin, quand je mets le pied dehors, un gyrophare clignote devant l’église Saint-Maclou, au gothique flamboyant récemment remis à neuf à grand frais. Un bon morceau en a chu sur le parvis. De quoi tuer une ou deux personnes mais nul n’est passé au bon moment.

    *

    L’après-midi au Socrate, à côté de deux branlotins:

     -Au fait, demain c'est férié?

     -Ben ouais, c'est Noël.

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  • Ce ouiquennede en est un bon puisque est avec moi celle venue de Paris pour un Noël avant l’heure. Samedi, la nuit déjà tombée, nous faisons le tour de Rouen en fête. Je l’amène par un chemin détourné au pied de la grande roue installée place du Vieux-Marché et malgré ses protestations de vertige achète deux tickets non remboursables.

    -Y en a qui refusent de monter au dernier moment, c’est pour ça que c’est pas remboursable, nous explique la caissière.

    Ce ne sera pas le cas de celle qui se cramponne à mon bras dans la nacelle un peu secouée par un vent qui annonce (dit-on) une bonne tempête pour lundi soir. La vue est magnifique sur les toits enchevêtrés des maisons anciennes, sur celui de la moderne église Jeanne-d’Arc et, droit devant, sur la façade de la Cathédrale jamais considérée d’une telle hauteur. En nous retournant, on peut apercevoir au loin le pont Flaubert.

    Pour rentrer, nous prenons un chemin écarté qui nous fait passer place du Lieutenant-Aubert. Devant le magasin Parallèle Music règne une attirante animation. Un couple danse le tango au son d’une musique argentine sous les yeux du vrai Père Noël (reconnaissable à sa vraie barbe). Celui-ci est accompagné d’assistantes court-vêtues. Un homme agitant une clochette nous invite à goûter au vin chaud et gratuit. Si l’esprit de Noël existe, c’est là qu’on le trouve. Une demoiselle de rouge vêtue nous sert un verre. C’est du bon, bien parfumé. Celle qui m’accompagne fait une photo des deux filles de Noël assises sur le muret, montrant leurs jolies jambes aux passants à pied et en voiture. Elle arrive à saisir le regard concupiscent d’un conducteur sur cette chair fraîche.

    -Bon, on va pas passer la nuit ici, déclare soudain le Père Noël qui reprend son chemin précédé par ses jolies assistantes.

    C’est le temps pour nous d’un Noël privé, bon repas et échange de cadeaux.

    Au matin du dimanche, nous faisons le tour du marché, buvons une boisson chaude au café Le Clos Saint-Marc puis je lui propose d’aller voir l’exposition Tomi Ungerer à l’Hôtel de Région de la Haute-Normandie.

    Un aimable gardien nous accueille à qui je demande une feuille blanche pour prendre des notes et cette fois la salle consacrée aux dessins pour les enfants est ouverte. Nous y passons un bon moment, elle qui retrouve les livres de son enfance et moi qui retrouve les mêmes que j’ai lus tant de fois à des enfants petits. On y voit aussi beaucoup de dessins humoristiques non spécialement destinés aux moutard(e)s. Que d’idées dans la tête de Tomi, nous disons-nous. Etrangement, c’est aussi dans cette salle que sont montrés les violents dessins contre la guerre du Viêt-Nam. Nous allons ensuite dans la salle réservée aux dessins que la morale actuelle déconseille de montrer aux enfants. Aucun doute, visiter cette exposition à deux est bien plus excitant que d’y être seul.

    *

    Trois sentences de Tomi, notées pendant la visite :

    « L’humanité est une famille insupportable. »

    « Je n’ai pas de langue natale sauf celle qui me sert à lécher les plats. »

    « J’ai de la fuite dans les idées. »

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  • Cette année, l’Opéra de Rouen a décidé d’y aller à fond dans le domaine du spectacle qui ne demande pas de venir avec son cerveau.

    Ce jeudi soir, pour la comédie musicale Bells are ringing de Jule Styne, la fréquentation du lieu par des gens qui semblent le découvrir en est la démonstration. A ma gauche, quatre étudiant(e)s parlent en riant sans cesse comme il convient à la jeunesse d’aujourd’hui. A ma droite, un vieux couple se tait. L’homme se relève quand il se rend compte que derrière lui est Robert, Maire, vers qui il se courbe. Un professeur quinquagénaire et bedonnant a amené sa vieille mère. Près d’elle, il a de nouveau une allure de petit garçon. Des têtes étonnantes parsèment les deux rangées d’invité(e)s du staff : celles de tel journaliste local (jamais vu ici), de tel directeur d’un établissement artistique de premier plan (jamais vu ici), de tel compositeur de musique dite contemporaine (souvent programmé ici et dont les œuvres déplairaient à une très grande partie de ce public). Tout le monde est un peu dissipé car un problème de lumières retarde l’ouverture du rideau.

    Bells are ringing est une comédie musicale qui fut créée à Broadway en novembre mil neuf cent cinquante-six. Le temps de traverser l’Atlantique et la voici adaptée et mise en scène avec recours à la technologie moderne par Jean Lacomerie pour le compte du Théâtre de la Croix-Rousse.

    Impossible de résumer l’intrigue de ce théâtre de boulevard dansé et chanté. L’héroïne en est une fille du téléphone qui ne peut s’empêcher de se mêler de la vie de ceux dont elle prend les messages. Le point fort du spectacle est la musique jouée sur scène par six membres des Percussions Claviers de Lyon installés dans des tours latérales.

    « C’est bien foutu », entends-je à l’entracte, « Oui, c’est frais ».

    La seconde partie est à l’image de la première, fraîche et bien foutue. L’heureuse fin est saluée par de chauds applaudissements. Pour beaucoup, cela aura été la soirée la plus intellectuelle de leur année deux mille treize ; pour d’autres, dont moi, une plaisante récréation.

    L’averse m’accueille à la sortie, un vrai temps pour Singin’in the Rain, je regrette de n’avoir pas emporté mon parapluie.

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  • Après un certain temps passé chez Book-Off, rue du Faubourg Saint-Antoine, ce mercredi après-midi, et en étant ressorti un sac de livres à la main, je décide d’aller voir ce qui se passe à la Maison Européenne de la Photographie dont je n’entends plus parler depuis un moment.

    Je m’y rends à pied et paie les quatre euros cinquante demandés aux personnes d’un âge certain. Connaissant les lieux, je file directement au vestiaire, soucieux de me débarrasser de mon sac de livres, de mon sac à dos et de mon vêtement d’hiver (il fait une chaleur exagérée ici).

    Mauvaise surprise, ce vestiaire a disparu. Je trouve à sa place une quinzaine de casiers à code. Tous sont occupés. N’ayant pas envie de parcourir les sous-sols et les étages en supportant vêtement et sacs, je décide de jeter mes quatre euros cinquante à la poubelle et retourne à l’accueil où j’explique ma déconvenue à deux hommes inoccupés derrière une caisse.

    Celui qui me répond me dit qu’il n’est pour rien dans la suppression de ce vestiaire :

    -Nous, on subit.

    -C’est surtout le visiteur qui subit, lui fais-je remarquer. A qui faut-il se plaindre ?

    -Au directeur, me dit-il, c’est lui qui a décidé ça.

    Je ne sais ce que l’on montre en ce moment à la Maison Européenne de la Photographie, sans doute rien d’exceptionnel, sinon j’en aurais entendu parler. Quand il y aura une exposition qui me fera vraiment envie, je ne vois pas d’autre solution désormais que de faire garder mes sacs par les employé(e)s du Centre Pompidou.

    *

    Depuis l’an deux mille, toute innovation dans une institution culturelle publique ou privée se traduit par une suppression ou bien une diminution de l’offre.

    *

    Rouen, jeudi matin, le cafetier de la place de la Calende a des soucis : « Dimanche, marché de Noël jusqu’à vingt heures, fermeture des toilettes publiques à douze heures trente, ils vont pisser où les exposants ? Chez moi. »

    *

    Rouen, jeudi après-midi, rue de la Croix de Fer, je m’arrête pour laisser une jeune musulmane voilée en prendre une autre en photo près d’un faux sapin en bois rouge grenat. « Nous sommes bien assortis » me dit cette jolie fille dont la tenue est effectivement de la même couleur que ce faux arbre de Noël.

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  • Dans le train qui me mène à Paris, ce mercredi, je relis Les notes de l’oreiller de Sei-Shonagon me délectant du sens de l’observation de cette dame de cour chinoise née vers neuf cent soixante-sept de l’ère chrétienne, l’une des premières obsédées des listes, faisant mentalement les miennes en lisant les siennes, ajoutant ma voisine, une grosse enrhumée se remaquillant, à celle des Choses déplaisantes.

    Il fait bon dans la capitale et j’ai du temps avant l’ouverture des librairies, aussi est-ce dans un bus Vingt-Sept presque vide que je gagne le Quartier Latin où je bouliniérise et gibertise un peu. De là, je passe la Seine et par le derrière de l’Hôtel de Ville. Une courte file d’attente indique la porte d’entrée de l’exposition gratuite Brassaï (Pour l’amour de Paris). Je suis rapidement à l’intérieur et en terrain connu.

    Gyula Halász, le futur Brassaï, est né en Hongrie et est arrivé à Paris à l’âge de vingt-cinq ans en mil neuf cent vingt-quatre (époque où les étrangers n’avaient pas vocation à retourner dans leur pays mais à devenir Français). Il est bien connu pour ses photos de nuit et ici sont montrées les plus célèbres et d’autres aussi : Simone de Beauvoir au Flore en mil neuf cent quarante-quatre posant à l’écrivaine inspirée, la bande du Désir attrapé par le queue, (Picasso, Beauvoir, Sartre, Leiris, etc.), une série sur ledit Picasso dans son atelier, des graffiti, les ouvriers des Halles, un policier à vélo la cigarette à la bouche, des mauvais garçons, les filles à demi nues des Folies Bergères, etc. J’apprécie particulièrement les deux images de femmes en extase, l’une habillée, l’autre nue, et bien sûr la salle dédiée aux filles de joie (dans laquelle Delanoë, Maire, ne fera pas entrer la pudibonde Vallaud-Belkacem).

    Un métro me conduit ensuite à la Bastille où, avant Book-Off, je déjeune au Bistro Saint-Antoine d’une saucisse de Toulouse purée maison suivie d’une tarte aux pêches. C’est basique et avec un quart de côtes-du-rhône coûte dix-huit euros quarante.

    *

    Il faut que je vienne à Paris pour voir un sapin de Noël, celui devant Notre-Dame a belle allure. Plus de place pour cet arbre tronçonné et décoré à Rouen où l’espace public est entièrement dévolu au marché de Noël et à la fête foraine qui constituent l’opération Rouen Givrée (la bien nommée).

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    « Toutes les femmes sont folles de la saucisse de Toulouse. », je ne sais plus qui a dit ça à propos de Toulouse-Lautrec, lui-même peut-être.

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