• Dimanche tôt je prends l’autoroute qui s’en va de Rouen en direction d’Yvetot, du Havre ou Fécamp mais je ne vais pas jusqu’à la ville chantée par Nilda Fernandez du temps qu’il se prénommait Daniel, je la quitte par la sortie numéro deux, direction La Vaupalière. Je me gare à l’entrée. C’est vide grenier. Les voitures sont embouteillées. Le ciel est plombé.

    Tant que le vent souffle, et il le fait bien, il ne devrait pas trop pleuvoir, me dis-je, cherchant le plus court chemin pour rejoindre à pied le lieu du déballage. C’est un pré boueux, que je découvre, n’étant jamais venu dans ce village. Des hommes du pays en gilet jaune accueillent les véhicules des exposant(e)s que d’autres en vélo, véloces, conduisent jusqu’à leur emplacement.

    Je vais et viens dans les allées sous quelques gouttes. J’y croise plusieurs fois un homme en tenue de berger qui semble chercher ses moutons. Parfois un parasol décolle, suscitant des cris de frayeur. J’entends l’habituelle plaisanterie : « C’est une belle journée pour un mois d’octobre » et les projets de vacances des un(e)s et des autres. L’un partira à la montagne car on y vit encore comme après-guerre. Le temps d’éviter une averse, je prends un café sous la tente, Soixante centimes, c’est son prix, il ne vaut pas plus. Pour utiliser les toilettes, c’est trente centimes. Je préfère uriner contre un mur municipal.

    J’ai quelques livres dans mon sac quand je retraverse la moitié de La Vaupalière pour retourner à ma voiture, dont les Cahiers 1918-1937 du comte Kessler (Cahiers Rouges/ Grasset), journal d’un diplomate allemand amateur d’art entre les deux guerres, n’ayant vu des commerces du village que le salon de coiffure Bereng’hair.

    A peine garé dans l’île Lacroix, je vois venir à moi un mur de pluie. Je me réfugie sous l’abribus, collé contre la vitre du fond, en compagnie d’un gros chien et de son propriétaire. Je repars quand ça se calme un peu et arrive à la maison draché. Ce n’est que le début d’un dimanche d’incessante pluie et j’en imagine les conséquences sur le pré déjà boueux de La Vaupalière.

    *

    Ce dimanche pluvieux tourne au soleil quand arrive à seize heures celle venue goûter de macarons, m’ayant déjà tenu compagnie samedi, venue de Paris pour ce faire, avec déjeuner à volonté chez Sushi Tokyo, rue Verte, et boisson chaude et aubade improvisée au piano à l’Ubi, rue Alsace-Lorraine, bien installés dans le vaste canapé noir.

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  • Des voisins atteints par cette « peste émotionnelle » qu’est le foute, il n’en est pas que côté jardin. Ce vendredi matin, de l’autre côté de la ruelle, un patriote a accroché un drapeau tricolore du plus bel effet sur la façade à pans de bois. Ce soir, c’est le quart de finale contre l’Allemagne et la France va gagner. Ou comme ils disent « On » va gagner.

    Dans l’après-midi, l’arrivée des averses orageuses me réjouit, qui empêcheront la télé dans le jardin. Je crois entendre, rue Saint-Romain, « Allez les Schleus ! » mais je dois me tromper.

    C’est pourtant l’Allemagne qui gagne, m’apprend le silence qui règne dans les rues vers vingt heures alors que le soleil est revenu.

    La Coupe du Monde continue mais le pire est passé. Juillet ne sera pas le mois des troupeaux fanatisés braillant La Marseillaise dans les rues. J’attendrai néanmoins qu’elle se termine pour partir en vacances : pas envie de supporter les télés d’hôtels ou de chambres d’hôtes, toutes branchées sur l’évènement totalitaire.

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  • Je sais qui a vendu le nom de Picasso à une marque de voiture mais pas qui a cédé celui de Duchamp aux collectionneurs d'art contemporain de l'Association pour la Diffusion Internationale de l'Art Français. Leur Prix Marcel Duchamp (trente-cinq mille euros pour le lauréat et une exposition de deux mois au Centre Pompidou aux frais de l’association) existe depuis deux mille. Des œuvres de lauréats, j’en ai vu plusieurs à Paris.

    Cette année, innovation innovante, Rouen accueille celles des quatre nommés en l’abbatiale Saint-Ouen, à cause que Duchamp est enterré là-haut, au Cimetière Monumental, où il doit se retourner dans sa tombe (comme on dit). Côté arts plastiques, depuis plusieurs années, cette ville ne voit pas plus loin que son nombril.

    Ce jeudi soir a lieu le vernissage comme me le rappelle mon carton d’invitation (valable pour deux personnes) mais, songeant à ceux que je vais y croiser, dont l’un en salopette rose qui prend Duchamp pour une lanterne, je m’abstiens. Marcel m’en saura gré.

    *

    Autre coupable d’abuse Duchamp : le chargé de l’image et de la communication du Bazar de l’Hôtel de Ville, cité par Libération à propos d’une campagne publicitaire mettant en scène le galeriste Kamel Mennour, déclarant que « c’est au BHV qu’a été inventé l’art contemporain, au début du siècle, quand Marcel Duchamp a acheté un porte-bouteilles et en a fait le premier ready-made. » (A noter que cette personne se croit encore au vingtième siècle)

    *

    Tandis qu’à Rouen on ne voit pas plus loin que son nombril, au Havre on regarde vers le large. En témoigne l’exposition Nicolas de Staël au MuMa, organisée pour le centenaire de la naissance de l’artiste, visible du sept juin au neuf novembre.

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  • Deux semaines sans aller à Paris c’est trop. Je n’en puis plus de Rouen. Aussi est-ce d’un bon pas que je gagne la gare ce mercredi matin sous le soleil. Le Playboy Communiste y fait le spectacle. Lancé dans une danse extatique qu’il rythme par une incantation rock’n’roll, il a pour public ceux qui attendent le sept heures vingt-cinq pour Paris. Quand ils descendent quai deux, il cesse et disparaît. La grève étant terminée, je ne peux tricher et descends attendre, quai trois, le lent huit heures sept.

    Dans la voiture, loin de moi heureusement, deux moutards s’expriment (mères débordées, pères absents) « Rémi, ne crache pas sur les gens. ».

    Je ne suis chez Book-Off que dix minutes après l’ouverture, où l’on n’a guère réassorti depuis mon dernier passage. Je trouve néanmoins parmi les livres à un euro le Henry Miller de Frédéric Jacques Temple (Buchet Chastel), mon exemplaire bénéficiant d’un envoi de l’auteur : « à Patrick Kéchichian, cette esquisse d’Henry Miller que j’espère vivante, cordialement ».

    A midi, je déjeune encore une fois du même menu à l’Hostellerie de l’Oie qui Fume, rue de la Harpe. Dans ma proximité sont assis un jeune homme et ses vieux parents venus le voir de province, tous trois de louque rock’n’plouc. « Y a les égouts à visiter » suggère le jeune homme qui rassure son paternel : « T’en fais pas, des Crédit Agricole, y en a plein dans Paris ».

    Avec un si beau temps, pas question de s’enfermer dans une exposition, je préfère glandouiller à l’extérieur en me demandant, à la lecture du titre d’une, Réenchanter le monde (à la Cité de l’Architecture), où est l’oiselle rare volontaire pour réenchanter le mien.

    Dans l’après-midi, je passe à l’autre Book-Off. Au rayon Connaissances, les yeux vers les rayonnages du haut, je découvre que l’endroit a un autre intérêt. Situé à proximité de l’escalier qui monte à l’étage, il offre une vue absolue sous les jupes des filles. J’y trouve l’ouvrage de Jean-Charles de Fontbrune Henry Miller & Nostradamus (Editions du Rocher).

    C’est avec Miller que je finis ma journée parisienne, lisant à l’une des tables de trottoir de Chez Léon, avec un diabolo menthe, près d’une jolie brune qui, à la question de savoir ce qu’elle a fait hier soir avec son mari, que lui pose sa collègue fausse blonde, répond sans la moindre ironie: « On a regardé le foute ».

    Bien que n’étant pas critique littéraire comme Kéchichian (au Monde puis à La Croix), je peux dire à Frédéric Jacques Temple (bientôt quatre-vingt-treize ans) que son esquisse est vivante.

    *

    Paris, rue des Petits Champs, le cabaret La Belle Epoque n’est plus, remplacé depuis hier par un restaurant chicos dont les premiers clients, des couples sans parole semblant s’ennuyer, contemplent l’animation de la brasserie d’en face d’où je les observe.

    *

    Discussion du jour dans les cafés : la mise en examen de Sarkozy après une sévère garde à vue. Tous ne font que répéter ce qu’ils ont entendu à la télé ou à la radio.

    *

    Rouen : rien d’autre qu’un centre commercial à ciel ouvert doublé d’un parcours de déambulation touristique, les deux fonctionnant de dix heures à dix-neuf heures. Avant et après : rues désertes.

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  • S’il est un auteur dont je ne connaissais même pas le nom avant de trouver l’un de ses livres chez Book-Off, c’est Albert Caraco, né en mil neuf cent dix-neuf dans une famille séfarade du Levant, passant avec ses parents par Vienne, Prague et Paris, réfugié en Amérique du Sud à la veille de la Deuxième Guerre Mondiale, revenu à Paris après la Libération, désespéré par le désastre.

    Le Bréviaire du chaos est publié à L’Age d’Homme dans la collection Amers Littérature. Ce petit livre est une synthèse de la pensée de Caraco, le chantre du pessimisme, auprès duquel Cioran semble un joyeux drille.

    Echantillons :

    Or, toutes nos idées sont meurtrières, aucune d’elles n’obéit aux lois de l’objectivité, de la mesure et de la cohérence, et nous, qui perpétuons ces idées, nous marchons à la mort comme des automates.

    Le monde, que nous habitons, est dur, froid, sombre, injuste et méthodique, ses gouvernants sont ou des imbéciles pathétiques ou de profonds scélérats, aucun n’est plus à la mesure de cet âge…

    Pourquoi le pire est-il l’unique certitude, qui nous reste ? il l’est pour deux raisons, la première étant l’impossible de freiner le mouvement, qui nous emporte, et la seconde résidant en la nature même de ce mouvement.

    La vie n’est pas sacrée à partir du moment où les vivants pullulent, celle des hommes en surnombre n’a pas plus de valeur que celle des insectes et les soldats, morts à la guerre, ne sont pas davantage aux yeux de ceux qui les y mènent.

    Le siècle voudrait tout choisir et c’est pourquoi nous n’avons pas de style, le siècle voudrait tout comprendre et c’est la raison pour laquelle il ne sort plus du labyrinthe, le siècle voudrait même humaniser la masse en perdition en tant que masse et c’est pourquoi nous allons au carnage planétaire.

    Et sommes-nous tombés si bas pour que les Chefs d’Etat, en mal de légitimité, se mêlent au troupeau, jouant la comédie aux ruminants qu’ils mènent paître ?

    Contrairement à Cioran, qui malgré sa maladie d’Alzheimer poussa sa vie jusqu’à une mort naturelle tardive, Caraco, en cohérence avec sa pensée, se pendit le sept septembre mil neuf cent soixante et onze, ayant différé son suicide jusqu’au lendemain de la mort de son père afin que ce dernier n’en souffre pas.

    *

    J'attends la mort avec impatience et j'en arrive à souhaiter le décès de mon Père, n'osant me détruire avant qu'il ne s'en aille. Son corps ne sera pas encore froid, que je ne serai plus au monde.  (Albert Caraco, Ma confession)

    *

    Amer, terme de marine : objet fixe et visible servant de point de repère sur une côte.

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  • Pour qui veut faire bruyamment la fête un soir et ne pas s’attirer de remontrances, la méthode consiste à afficher un petit mot pour les chers voisins avec prière d’excuser pour la gêne occasionnée, ce que fait ce samedi soir un couple de voisines à propos d’un anniversaire. Ce petit mot a valeur de feu vert. On a prévenu donc on peut y aller côté bruit.

    Je vais dormir encore une fois dans la petite chambre. Vers une heure et demie du matin, je tente de réintégrer ma vraie chambre mais dans le jardin, c’est encore rires et bla-bla. A cinq heures, je suis néanmoins debout et prends bientôt la route qui monte sévèrement à Bois-Guillaume.

    Le vide grenier se tient au parc des Cosmonautes sur des terrains de foute. La pluie menaçante a dissuadé certain(e)s de venir déballer. Je fais le tour des présent(e)s. De temps à autre tombe une ondée rapide. Des nuages noirs annonçant une drache durable, je rejoins ma voiture sans avoir trouvé quoi que ce soit.

    De retour à Rouen, je laisse passer la pluie et vais voir à quoi ressemble le premier vide grenier de la rue des Bons-Enfants. A pas grand-chose, quelques stands ici où là, à l’aspect désolé, ce n’est pas avec ça que les commerçants organisateurs ranimeront leurs boutiques.

    Des commerçants qui vont bien, ce sont les jeunes patrons de la boulangerie rue Saint-Nicolas où je m’arrête en rentrant. Une affiche manuscrite apprend à leur clientèle qu’ils sont en vacances pour quinze jours, laissant la boutique entre les mains des ouvriers et des vendeuses, pour tout « mécontentement », pour tout « désagrément », qu’on les prévienne à l’adresse mail qui suit, un appel à la délation bien de notre époque. Il y a quelques mois sur la vitrine de ces heureux vacanciers figurait l’affichette « Sacrifié mais pas résigné ».

    *

    Une soliloqueuse, rue Armand-Carrel : « D’abord, quand on sait parler toutes les langues, on se fait pas chier à Rouen. J’y habiterais pas. »

    *

    Quel que soit le bar, il y a un type au comptoir qui connaît tout sur tous les aéroports du monde bien qu’il n’ait jamais pris l’avion. 

    *

    Rien que de les entendre parler des travaux qu’ils font dans leur appartement, je suis épuisé.

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  • Dire qu’on habitait au 103, rue de la Convention, Michel et moi… Chacun dans un immeuble, face à face. On avait la même adresse ! (…) le Destin a joué notre sort : « Pile, c’est Michel qui aura du succès. Face, c’est …

    Je préfère ne pas le nommer, même par son prénom, celui qui n’aura pas de succès. Les deux fois que j’ai parlé de lui, je me suis fait insulter par sa garde rapprochée. Ce livre-ci, publié dans une collection de semi poche en deux mille neuf, que j’ai lu il y a quelque temps, porte en titre son quantième. L’auteur, jaloux et envieux, y développe en quatre-vingt-treize pages et bien des perfidies, l’idée que le monde est injuste, c’est lui qui aurait dû avoir la réussite commerciale et la notoriété de son ancien voisin Michel Houellebecq :

    Tu as su synthétiser l’époque : la médiocrité et l’ennui de ce début de siècle, tu les as parfaitement transposés. C’est moi qui n’y ai rien compris. Je n’ai pas pigé que seul ce qui est nul, faible, triste, de mauvais goût, plat, sans vie, dépressif, rabougri, étriqué, ramolli, épuisé, vidé, minable, triomphe. C’est presque indécent d’être tout le contraire.

    Oui ! écrit-il encore On avait besoin d’un écrivain de quarante ans, « rebelle », réac (même un peu « facho »), qui dise son temps dans un style original et scandaleux… Bref : « le nouveau Céline »… Excuse-moi, c’est trop bête : j’ai longtemps cru que c’était moi !

    Afin que nul(le) ne doute de leur proximité, le non nommé nous narre une anecdote bien à même de ridiculiser celui qui a réussi :

    Il ne te manque pas trop notre Monoprix ? Tu en as passé des heures, là, à hésiter entre des poireaux et des navets, ou alors des Knackies… Tu te souviens de cette conversation qu’on avait eue ? Pour toi le paradis c’était un Monoprix et pour moi un bar à putes ! Tout ça parce que dans notre Monop’, il y avait une caissière que tu draguais : une grande Noire en blouse rose. Que de râteaux tu t’es pris, caisse 4 !

    Et conclut :

    J’ai eu tout faux, je n’ai rien compris. J’ai prêché une littérature jubilatoire d’exaltation artistique. J’ai été grotesque. Je n’ai pas su voir. Au lieu de foncer dans mes extases, il fallait rester sur place, stagner dans sa merde et simplement murmurer : « Ça va pas fort. » Ça va pas fort : très bon titre.

    Michel Houellebecq est justement, ce samedi après-midi, le sujet de cinq heures d’émissions sur France Culture, de quoi énerver une nouvelle fois son ancien voisin. Je me souviens que sur cette radio, une autre fois, interrogé sur le livre dont je parle et son auteur, Houellebecq avait répondu : « Oui oui, on était voisins, je le voyais passer avec son petit manteau et son petit cartable, bien propre sur lui, et à chaque fois je me disais : « C’est ça un antisémite ? »

    *

    Mon exemplaire provient de chez Book-Off. Je l’ai payé un euro. Une fille prénommée Sandra l’a lu avant moi et y a laissé des marques au crayon à papier, ainsi que son adresse mail. Je viens de lui écrire lui demandant pourquoi l’avoir revendu, elle me répondra peut-être.

    *

    Autre lecture du moment, Les Demoiselles du Taranne, le journal de l’année mil huit cent quatre-vingt-huit (publié par L’Infini/Gallimard en deux mille sept) de Gabriel Matzneff, aujourd’hui vilipendé par certain(e)s pour aimer les filles jeunes et parfois mineures. Lui aussi a la faiblesse de se plaindre d’être un écrivain pas apprécié à sa juste valeur, regrettant que ses romans ne figurent pas sur les listes des prix littéraires. Je ne les aime pas ses romans, ne trouvant intéressants que ses essais et surtout son Journal :

    Dimanche 8 mai, 19h15. Je quitte à l’instant Annah venue au Taranne à 16 heures. Trois heures de plaisir. Elle s’avère une élève sensuelle et aux progrès rapides. Après lui avoir fait l’amour par toutes les voies possibles j’ai explosé dans sa bouche, et cela a semblé lui plaire beaucoup.

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  • Peu enclin à laisser passer une voiture dans les rues piétonnières rouennaises, je ne bouge pas davantage s’il s’agit d’un vélo. Ainsi en est-il ce vendredi, rue de la Croix-de-Fer, quand j’en entends plusieurs arriver derrière moi. Je suis même prêt à les envoyer bouillir s’ils m’envoient un coup de sonnette. Heureusement qu’ils ne le font pas, il s’agit de trois policiers. Depuis quelques semaines, des patrouilles vélocipédiques sillonnent la vieille ville. Rapides et silencieux, ils traquent le délinquant ou la délinquante.

    Un peu plus tard, je retrouve l’un de ces policiers tandis que je reviens de la bouquinerie Thé Majuscule par le plus court chemin, c’est-à-dire par le travers de la Cathédrale. Sans son vélo, le casque réglementaire sous le bras, à croire que c’est moi qu’il suspecte d’être délinquant, il semble incongru dans l’édifice dont sonnent les cloches.

    Ces pédaleurs en uniforme ne sont pas la seule nouveauté cycliste. L’Office du Tourisme de Rouen organise maintenant des visites en vélo, lesquelles passent évidemment par la ruelle où j’habite, comme si les troupeaux pédestres ne l’encombraient pas assez. Défilant à la queue leu leu (comme on dit) derrière leur guide à micro, tous casqués, munis d’une oreillette, j’ai le temps de dire à chacun qu’il est ridicule.

    *

    D’autres vélos vont disparaître : ceux que louait l’agglomération. Louait à perte, ont fini par comprendre les politicien(ne)s locaux (plus de quatre cents euros par personne et par an). Comme les municipales, pour lesquelles on avait besoin du vote écolo, sont passées, on arrête tout.

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  • De l’orgue au programme du dernier concert d’avant vacances de l’Opéra de Rouen qui se donne donc à l’abbatiale Saint-Ouen où Cavaillé-Coll a œuvré. L’espace du public est divisé en deux : devant, de nombreuses rangées de chaises rouges, derrière, des gradins à coussins rouges. Je choisis de poser mes fesses sur ces derniers. C’est parfait pour la vue globale mais sans doute un peu loin pour bien ouïr l’Orchestre.

    Chaque entrant(e) a la même hésitation. Les gradins se remplissent vite. A ma droite s’installe une sorte de Théodore Monod en chorte. Derrière, un couple de quinquagénaires (dont lui appelé Minou par elle) commente les arrivées :

    -T’as vu, y a Claude de la Randonnée.

    (Un nobliau sans doute)

    -Ah mais il est tout seul, y a pas sa femme.

    (Elle a dû rester à la maison pour regarder le foute)

    D’aucuns n’hésitent pas à venir ici avec à la main le sac jaune des Soldes Suprêmes du Printemps. Minou, qui a de longues jambes met son pied sur mon coussin. Je lui demande de mieux se tenir. Arrivent alors quelques intermittents du spectacle. Ils distribuent des autocollants de soutien à leur lutte (comme on dit). Je prends le jaune à jeu de maux « Sauvons l’art est public ». Minou refuse d’en prendre un, il n’est pas assez informé.

    -On va vous informer, lui répond l’intermittent.

    Effectivement, l’un d’eux prend le micro après que les musicien(ne)s sont installé(e)s et explique le problème. Le son réverbérant oblige à tendre l’oreille. Une partie de l’auditoire applaudit, dont le faux Théodore, mais Minou non.

    Oswald Sallaberger est à la baguette pour le très beau Cantus in memory of Benjamin Britten d’Arvo Pärt puis Michael Schöch, né en quatre-vingt-quinze à Innsbruck, montre ce qu’il sait faire avec un orgue en jouant le premier mouvement de la Symphonie pour orgue numéro six en si mineur de Louis Vierne. L’union se fait grâce au Concerto pour orgue et orchestre de Francis Poulenc. L’orgue dépote. Notre timbalier trouve enfin à qui parler.

    Je fais quelques pas dans l’abbatiale à l’entracte. Le docteur du Hennepéha est fier d’arborer sur sa veste l’autocollant jaune. Je ne sais pas ce que je ferai du mien.

    A la reprise, c’est la Symphonie numéro trois en mi bémol majeur « Héroïque » de Ludwig van Beethoven, pour laquelle je suis peut-être un peu loin et énervé par le bruit d’un soulier de premier rang de gradins raclant sur la pierre. Cette œuvre monumentale suscite beaucoup d’applaudissements qui font revenir le Maestro pour de nouveaux saluts cependant que certains pressés filent par les côtés profitant de la pénombre et se croyant invisibles. Ils se font qualifier par d’autres de personnes sans éducation.

    *

    Le matin même, les intermittents du spectacle s’émouvaient de l’interdiction faite à eux par Nicolas Mayer-Rossignol, le Socialiste Président de l’Opéra de Rouen, d’accrocher une banderole au fronton du bâtiment, ce pour quoi Frédéric Roels, Directeur, avait donné son accord. Que ce bébé Fabius interdise ne m’étonne pas, ce qui me sidère c’est que ces intermittents en pétard aient demandé l’autorisation.

    *

    Nicolas Rouly, autre bébé Fabius, le Socialiste Président du Conseil Général de Seine-Maritime, annonce la fin du festival Automne en Normandie, une suppression qui suit celles, pour des raisons diverses mais toujours de gauche, des Transeuropéennes, du Festival Ramdam, du Festival du Cinéma Nordique.

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  • Après avoir dit la tristesse que lui inspire le sort des chevaux, grand-père Jules en revient à la permission donnée pour le décès de son frère dont il n’évoque pas l’enterrement :

    … c’est chez mes Parents à Ourville-en-Caux que je passais cette permission qui se terminait le 11 Novembre et c’est dans la matinée de ce jour que comme une traînée de poudre la nouvelle se répandit dans la Commune, l’armistice sera signé à 11h, partout ce fut une immense joie…

    J’étais le seul permissionnaire dans le pays (…) les plus aisés payaient le champagne, ce qui me valut de me sentir un peu vaseux le lendemain matin, mais après avoir déjeuné gaiement avec mes parents, je suis parti dans l’après-midi rejoindre mon régiment en Belgique.

    En arrivant à ma batterie qui se trouvait dans la région de Audenarde, je retrouvai mes camarades, tous heureux de voir la guerre finie (…) quelques heures seulement avant la cessation d’un combat, l’un d’eux avait eu un bras arraché.

    La démobilisation n’est pas pour tout de suite, les troupes avancent vers l’Allemagne :

    … le 1er décembre nous défilons à Bruxelles devant le roi Albert 1er, puis après avoir séjourné dans la région de Liège, puis passé à Verviers, nous sommes rentrés en Allemagne, à la première halte de bonne heure le matin, dans un petit village, les habitants venaient curieusement nous regarder, puis ils nous ont offert de leur café, ersatzcafe comme ils disaient (il y a longtemps qu’ils n’en avaient plus de vrai)…

    Le voici donc occupant pendant un moment l’Allemagne à Eschweiler (entre Aix-la-Chapelle/Aachen et Duren) où l’on ne trouve plus ni chiens ni chats, ils ont été mangés, puis il retourne en Belgique à Beyne-Heusey près de Liège où il loge chez l’habitant et prend ses repas avec une douzaine d’autres chez deux institutrices, et là dans son texte grand-père Jules fait une très longue digression au sujet d’un guérisseur qu’il y rencontre et qui jure-t-il fait des miracles, retrouvant le frère disparu de l’un d’eux, rendant la vue et la mobilité à la grand-mère d’un autre. De retour en France, il cantonne à Remiremont, puis à Saint-Amé où il est hébergé par la famille Coolus, enfin à Guebwiller qu’il quitte le quinze août mil neuf cent dix-neuf avec l’ordre de se faire démobiliser à Rouen, quartier Richepanse, ce qu’il fait le dix-neuf ;

    Comme tous ceux qui avaient combattu je touchai, ce que la nation nous donnait en récompense des services rendus, quelques dizaines de francs de pécule et un costume (dit Clemenceau) d’un modèle standard.

    A 27 ans, je me retrouvais donc dans la vie civile, avec une santé un peu altérée, particulièrement les voies digestives, et un peu handicapé par les séquelles de la blessure, m’empêchant de reprendre mon métier de garçon d’hôtel.

    Grand-père Jules est ainsi resté six années à l’armée dont quatre à faire la guerre. Ayant retrouvé sa liberté, il passe le permis pour faire chauffeur d’auto, conduisant d’abord des camions puis des voitures de maître.

    Pour moi comme pour beaucoup, le régiment et la guerre ne furent plus alors qu’un souvenir, conclut-il sobrement.

    *

    Si chauvins de France et chauvins d’Allemagne réussissaient à jeter les deux nations l’une contre l’autre, la guerre s’accompagnerait de violences sauvages qui souilleraient pour des générations la mémoire des hommes. Jean Jaurès dans L’Humanité (douze juin mil neuf cent treize)

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