• Samedi en début d’après-midi, dans un air dégagé de la pollution visible par un petit vent frais, je prends ma voiture pour aller à Val-de-Reuil où le groupe local d’Amnesty International fait sa vente annuelle de livres. Le Préfet de Seine-Maritime impose des vitesses diminuées de vingt kilomètres heure, ce que personne ne respecte. Un appel de phares peu avant l’arrivée m’incite à ralentir. Il ne s’agit pas d’un contrôle mais d’un accident. Deux voitures abîmées sont hissées sur la plate-forme de dépanneuses.

    Bien en avance, je me gare près du lycée Marc-Bloch, à l’heure où en sort le Maire Marc-Antoine Jamet, fabusien de luxe. Arrivent quelques habitué(e)s de ce genre de vente et sortent à leur tour le vieux député à tête de moine de boîte à fromage et un ancien copain d’école qui fait partie de la même mouvance et que je ne fréquenterais donc pour rien au monde (il porte sous le bras un livre prélevé sur le stock d’Amnesty avant l’ouverture au public).

    A quatorze heures le monde s’engouffre dans les salles du lycée où sont disposés les vingt mille livres promis. Je me dirige vers les poches, les seuls à être à prix vraiment intéressant, puis regarde un peu ailleurs mais trop d’ouvrages sont négligeables, traînant là d’année en année, ou pour quelques-uns qui pourraient me plaire, plus chers que je les trouverais ailleurs. Innovation deux mille quatorze, un membre d’Amnesty évoque au micro, d’une voix d’ecclésiastique, le cas d’un torturé d’Asie, cela dans l’indifférence.

    Il y a rapidement trop de monde pour l’espace réduit dont on dispose entre les tables. Comme on est chez les pauvres, certaines familles viennent au complet, père, mère, multiples enfants, bébé en poussette de la fille aînée déjà mariée et encore enceinte, et derrière la grand-mère qui n’avance pas. Un autre encombrement est causé par une femme qui pousse le fauteuil de sa fille handicapée adulte. Le malheur donne des droits, je sens à son noir regard de mère éprouvée que je n’ai pas intérêt à lui demander de se pousser. Je n’ai bientôt plus qu’une envie, sortir d’ici.

    *

    Si j’habitais encore à Védéherre, avec quel plaisir je voterais Michaël Amsalem, l’adversaire de l’actuel Maire.

    Partager via Gmail Yahoo!

  • Six heures vingt, ce vendredi matin lorsque je descends avec ma valise l’élégant escalier de pierre de l’hôtel du Parc. Je trouve le patron affalé dans l’un des hideux fauteuils de la salle de petit-déjeuner, à qui je dis bonjour et au revoir, et  vais jusqu’à l’arrêt Jardin Public du tram Cé. Trois minutes après, celui-ci me mène par les quais à la gare Saint-Jean. J’y prends un café viennoiseries chez Mac Do.

    Tandis que j’attends l’affichage de la voie de mon Tégévé, un jeune homme me propose d’acheter L’Express dont le supplément Bordeaux a été fait par son école de commerce, Lui-même, me dit-il avec un air radieux, a interrogé le sportif au nom basque en photo sur la couverture.

    -Désolé, lui dis-je, je ne suis pas de Bordeaux et je ne m’intéresse pas au rugby.

    -C’est un footballeur, me répond-il consterné.

    Deux Tégévés partent pour Paris à cinq minutes d’intervalle, l’un direct et l’autre avec arrêts à Angoulême et à Poitiers. Je suis dans le second en seconde classe. Un grand nombre d’étudiant(e)s dentistes grimpent au hasard dans les deux, ne sachant dans lequel sont leurs places. Leur voyage dans la capitale semble avoir été improvisé. J’en ai trois derrière moi, quatre devant. A ma droite, c’est un étudiant en cuisine qui descend à Angoulême.

    Difficile de croire que ces apprenti(e)s dentistes ont fait tant d’années d’étude et donnent des conseils d’hygiène buccale à leurs patient(e)s : ils parlent de séries télé ou de jeux vidéo et passent leur temps à aller au bar d’où ils reviennent avec des sodas et des bonbons.

    Heureusement à Poitiers s’installe à ma droite une étudiante asiatique qui entreprend de lire Rimbaud. Elle y renonce bientôt vu le bruit ambiant. Je discute d’Arthur avec elle, venue de Taiwan étudier le français à Poitiers par amour de la culture française. Elle va à la Sorbonne pour un examen et m’explique qu’elle aime Paris et Poitiers parce que contrairement aux villes du Japon qu’elle connaît, tout n’est pas propre et les gens ne sont pas tous polis. On parle aussi de ses chaussettes à gros pois rouges qui, lui dis-je, me font penser à Yayoi Kusama. Elle connaît bien cette artiste, à Taiwan elle s’occupait de l’organisation d’expositions et de médiation culturelle. Nous nous quittons dans le métro (gratuit pour cause de pic de pollution), elle prenant le Treize et moi le Douze.

    A Saint-Lazare, j’ai le temps de sortir de la gare avant mon second train et suis sidéré par l’atmosphère opaque sur la ville, l’équivalent de ce qu’on appelait le smog à Londres autrefois. Les passant(e)s semblent gris et accablés. Je pique-nique sur un banc place de Budapest puis bois un café à deux euros quatre-vingt-dix à L’Atlantique.

    J’arrive à Rouen au milieu de l’après-midi. La pollution y semble encore pire. Du train on ne voit même pas les hauteurs de Bonsecours.

    *

    L’une des apprenti(e)s dentistes, cherchant sur son téléphone quoi faire à Paris :

    -Ah, il y a le Salon de l’Erotisme, on pourrait y aller, ça réveillerait peut-être Kevin.

    *

    Autre occupation des apprenti(e)s dentistes, parler boutique : leur première séparation de racines, leurs difficiles extractions de molaires, leurs patients les plus chiants :

    -Je prends leur Carte Vitale, je regarde leur mutuelle et à chaque fois : Mgen.

    Autrement dit : les enseignants. Ce qui n’est pas pour m’étonner.

    Partager via Gmail Yahoo!

  • Aucune trace de l’équipe du film de télévision ce jeudi matin à l’hôtel mais l’employée me porte quand même mon dernier petit-déjeuner dans la chambre que je quitte un peu plus tard sous un soleil déjà radieux avec l’intention d’aller voir un village nommé Lormont sous le pont d’Aquitaine.

    Le tram Bé dans lequel je suis monté ne m’emmène qu’au pont Chaban-Delmas. J’attends le suivant qui va plus loin et m’aperçois alors que Lormont c’est de l’autre côté de la Garonne. Je demande à une dame assise s’il est possible de prendre le pont d’Aquitaine à pied. Elle me regarde éberluée, jamais personne n’a fait ça à sa connaissance, il est tellement grand. Quand je lui dis que c’est pour aller à Lormont, elle m’indique le bus Sept. Effectivement, il passe le pont de Chaban et tourne à gauche. Je descends à Lormont Bas, là où se trouvent quelques commerces et l’église du village, mastoc. J’en fais des photos ainsi que du pont d’Aquitaine, sorte de Tancarville en moins beau, qui écrase les maisons.

    Je reviens par le même bus jusqu’au pont Chaban-Delmas que j’emprunte à pied. Il ressemble au pont Flaubert de Rouen mais en plus malin : quand il se lève c’est d’un seul bloc. Je regagne le quartier des Chartrons par les quais et prends un café près du Centre de Congrès de la Cité Mondiale, l’un des rares bâtiments d’architecture moderne de la ville. Des garçons à cravate sont en pause. L’un envisage de changer de voie, d’aller « élever des chèvres dans le Larzac » où il n’y a pourtant que des brebis.

    Je réserve ensuite une table à l’Olivier des Chartrons où l’on m’appelle désormais Monsieur Michel. À midi, j’y suis en terrasse et en chemise, agréable adresse dont le menu change chaque jour et est à base de produits frais. Le service est assuré par un père et son fils aidé d’un troisième homme que j’imagine venu d’Australie ou de Nouvelle-Zélande. Aujourd’hui, c’est carpaccio de bœuf au pistou, pavé de morue et son aïoli avec des pommes frites et fondant au chocolat, tout cela accompagné de bordeaux supérieur. Près de moi mangent père, mère et fils, celui-ci venu dans cette ville pour passer un entretien. La mère lit Nymphéas noirs de Michel Bussi, l’écrivain rouennais bientôt aussi célèbre que Musso et Levy. Elle trouve ça bien parce qu’il a eu cinq prix littéraires.

    -C’était la dernière fois, dis-je au restaurateur fils en payant.

    -Vous rentrez où, Monsieur Michel ?

    -Rouen.

    -Mes condoléances.

    En allant m’alléger à l’hôtel, je constate que la télévision est arrivée, quelques camions techniques et une voiture de luxe équipée de caméras pour la filmer en déplacement. Des hommes sont en train de la lustrer et l’un se fait engueuler car il doit avoir quelque chose de gras sur lui, il fait des taches. Sur la porte d’un des camions, une affiche dit que le jour où on ne se sent pas à la hauteur, il faut se souvenir que le grand chêne a lui aussi commencé comme un gland.

    Pour mon dernier après-midi ici, je ressors lire au bord de la Garonne. Comme chaque jour de cette fin d’hiver estivale, beaucoup de monde s’agite ou glandouille sur les quais et les pelouses dans une atmosphère de « vivons heureux avant la fin du monde ou du moins avant la troisième guerre mondiale ». Je termine vers dix-sept heures ma relecture des Chroniques de Varsovie de Kazimierz Brandys.

    *

    Heureusement qu’il a fait beau pour ma semaine à Bordeaux, je pense que sinon j’aurais trouvé le temps long, contrairement à ce qui s’était passé lors de mes escapades en solitaire à Lyon, Strasbourg, Marseille et Nantes.

    *

    Une dernière nuit rue de la Verrerie, vieille ruelle pavée sans commerces, cachée au bout du quartier des Chartrons, dans le petit Hôtel du Parc signalé par un simple panneau lumineux « hôtel » dès que la nuit est tombée.

    Partager via Gmail Yahoo!

  • Bordeaux est dans le brouillard ce mercredi matin, c’est l’occasion de visiter son Musée des Beaux-Arts que l’on m’avait dit fermé et qui est ouvert. Ici, beaucoup confondent le Musée des Beaux-Arts, le Musée d’Art Contemporain et la Galerie des Beaux-Arts, cette dernière servant aux expositions temporaires et étant fermée pour travaux. La culture ne semble pas être la priorité de la ville. Ce que me confirme Sud Ouest que je lis au Café Français, à moins ajoute perfidement le journaliste de considérer les fêtes du vin et les fêtes du fleuve comme des évènements culturels. Les divers candidats à l’élection municipale disent qu’ils feront mieux à l’avenir, dont le Poutou du Hennepéha que j’imagine peu devenir Maire.

    Au Café Français, le noir breuvage est au prix parisien et quand on demande un verre d’eau, il est de la taille d’un dé à coudre. La Mairie est à côté et le Musée des Beaux-Arts dans deux ailes d’icelle, séparées.

    J’y suis à l’ouverture. L’entrée est gratuite. Les œuvres sont en nombre assez réduit et pas de premier plan. On trouve plusieurs Odilon Redon, né à Bordeaux, André Lhote, né à Bordeaux, et André Marquet, né à Bordeaux. Oskar Kokoschka est passé par là et a peint une Eglise Notre-Dame de Bordeaux. Le plus intéressant pour moi est Rolla de ce pompier de Gervex, un tableau dont je ne connaissais que des reproductions et que je n’imaginais pas ici, montrant une femme nue alanguie sur son lit dans une puissante lumière cependant que son amant près de la fenêtre lui jette un regard sombre. Ce Jacques Rolla va se suicider après cette dernière rencontre avec sa maitresse. C’est inspiré d’un poème de Musset. Ce grand tableau est un dépôt du Musée d’Orsay, qui est bien généreux. Il a fait scandale en mil huit cent soixante-dix-huit.

    Sorti du Musée, le soleil revenu, je déjeune une nouvelle fois en terrasse à L’Olivier des Chartrons, sur le quai du même nom, à côté d’ouvriers qui ont un problème de commande d’embouts, puis passe une bonne partie de l’après-midi à lire au bord de la Garonne les Chroniques de Varsovie de Kazimierz Brandys.

    Dans la rue de l’hôtel, il est interdit de stationner en raison du téléfilm avec Patrick Chesnais. Le soir venu, un riverain énervé envoie valser le panneau avant de déplacer sa voiture. C’est la première fois que je vois un autochtone se livrer à un mouvement d’humeur.

    *

    Ce mercredi, le bateau de la Cub navigue. Si la dame d’hier repasse, elle va penser que je lui ai dit n’importe quoi alors que ce douze mars est le jour de la reprise.

    *

    Deux filles sur le quai :

    -Y a pas une Bernadette à Lourdes ?

    -Ben oui, c’est la meuf qu’a vu la Vierge.

    *

    Un homme à un autre : « Je mange tranquille avec la mère de mes enfants, c’est une copine maintenant. »

    « Mes enfants », hardi possessif, dire plutôt : « Les enfants dont je suis le père ».

    Partager via Gmail Yahoo!

  • Impossible d’aller à Saint-Emilion en car comme je l’avais envisagé, je me rabats ce mardi sur Pessac atteignable en tramouais, lequel vers neuf heures du matin est empli d’étudiant(e)s qui descendent presque tou(te)s à Montaigne Montesquieu. Je poursuis avec quelques autres jusqu’au terminus. Sur la place du village c’est le marché, égayé par un accordéoniste. Je photographie l’église mastoc, ce que voyant un homme à la peau noire et à gros sac à dos bleu assis sur un banc se lève. Il me demande de le prendre avec son appareil (bien meilleur que le mien) car il est en vacances et voudrait quelques images de lui. L’église il s’en fiche, juste lui sur l’image. J’obtempère et il va se rasseoir.

    En face de l’église et aussi imposant, c’est le complexe culturel, incluant un cinéma, baptisé comme il se doit du nom de l’enfant du pays : Jean Eustache. Une affichette indique que si depuis son ouverture quiconque pouvait entrer librement dans le hall et les toilettes, c’est terminé suite à des dégradations répétées, seul(e)s le peuvent désormais celles et ceux qui ont un ticket de cinéma. Les films à l’affiche ne donnent pas envie d’en acheter un.

    On fait vite le tour de Pessac. Un tramouais est là qui doit partir dans dix minutes. J’y grimpe mais un message signale un accident sur la ligne et un départ reporté on ne sait quand. La conductrice m’indique le bus Quatre comme solution de remplacement. L’arrêt est au centre du village devant le tabac. Je traverse donc à nouveau le marché. Le touriste à la photo est toujours sur son banc.

    Ce bus arrive assez vite et j’y ai place assise d’où j’observe le paysage : vignes protégées par de hautes grilles pointues, supermarchés, pompes à essence, funérarium ouvert sept jours sur sept vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Arrivé dans Bordeaux, je repère la Cathédrale et descends, la visite rapidement (elle est quelconque) et vais voir qui c’est sur la place la grande statue qui marche vers la Mairie. Il s’agit évidemment de Chaban-Delmas, pas très ressemblant.

    Devant la Mairie de Juppé se tiennent deux policiers municipaux débonnaires. Je leur demande comment rejoindre les quais. C’est tout simple : suivre les rails du tramouais. Je préfère passer par les petites rues parallèles et me retrouve une nouvelle fois à la terrasse Chez Yuri où je bois un café en étudiant mon vieux Guide du Routard qui me suggère d’aller déjeuner Chez Fidel, aussi nommé Au Bon Accueil, quai de la Monnaie .

    Je crains le restaurant disparu, mais non, Fidel est toujours là et bien accueillant. Pour treize euros cinquante, je déjeune de tranches de boudin noir froid, de rognons de bœuf pommes vapeur et d’une crème brûlée, le vin est inclus. Les couteaux sont portugais et terriblement effilés. La clientèle est habituée et populaire. Pour lui plaire, la télé diffuse une niaiserie animée par Nagui.

    Après avoir passé un bon moment de l’après-midi à lire au bord de la Garonne, je me rends au CAPC Musée d’Art Contemporain, sis à deux rues de mon hôtel dans un ancien entrepôt de produits coloniaux, immense bâtiment de pierre revu par les architectes Jean Pistre et Denis Valode et la designeuse Andrée Putman. L’entrée en est libre car une partie seulement est visitable actuellement.

    Au deuxième étage, ce sont les diverses œuvres sans cartel de l’exposition Procession écrite et mise en scène par Julie Maroh, auteure de la bédé Le bleu est une couleur chaude et Maya Mihindou, illustratrice. Il est question d’identité et de genre, notions qui me laissent froid. De plus, il fait sombre et je vois mal dans ces conditions.

    Au premier, c’est une exposition d’architecture consacrée au Japonais Junya Ishigami, auteur de minuscules projets fragiles réalisés ou irréalisables qu’on ne peut approcher qu’après avoir ôté sa veste pour éviter les courants d’air. C’est zen, donc loin de moi mais je m’y intéresse néanmoins, d’autant que c’est très éclairé par des néons.

    *

    Je n’aime pas avoir à préciser que l’un à la peau noire alors que je ne signale pas quand elle est blanche (quatre-vingt-dix-neuf pour cent des cas). Parfois je suis obligé de le faire pour que ce que je raconte ait du sens. Un touriste blanc qui m’aurait demandé de le photographier à Pessac, cela n’aurait eu aucun intérêt.

    *

    Une femme et sa fille sur le bord de la Garonne. La première me demande où est l’embarcadère du bateau de la Cub. La Cub, c’est la Communauté Urbaine de Bordeaux. Le bateau, une sorte de vaporetto. Je lui réponds qu’il ne doit pas fonctionner en ce moment.

    -Vous êtes d’ici ? me dit-elle, dubitative.

    -Non mais ça fait quatre jours que je suis assis là et s’il circulait je l’aurais vu passer.

    *

    Cette masse d’eau terreuse ne sert pas à grand chance. Une promène-touristes le ouiquennede et les autres jours, rarement, un petit bateau privé.

    *

    Il n’en fut pas toujours ainsi. Une plaque sur le quai indique l’endroit où est parti le premier bateau chargé d’esclaves et présente les excuses de la ville de Bordeaux.

    Partager via Gmail Yahoo!

  • Deux tables d’une personne dressées dans la salle du petit-déjeuner ce lundi matin, l’hôtel n’est guère occupé. La serveuse m’informe que jeudi elle me le portera dans la chambre car cette salle sera louée par une équipe de cinéma.

    Sorti dans la rue, j’en apprends plus par une affichette sur les pare-brises. De cinéma point, il s’agit d’un téléfilm avec Patrick Chesnais. France Télévisions s’excuse des désagréments.

    Je longe à nouveau la Garonne pour atteindre le Pont de Pierre et aller voir de quoi il retourne de l’autre côté du fleuve. S’y trouvent un grand cinéma dans l’ancienne gare d’Orléans, des immeubles de bureaux, des résidences étudiantes, des commerces quelconques et un affichage municipal vantant une conférence de Michel Cymes, médecin de télévision, sur le bien vieillir. Le seul intérêt de ce côté est de voir avec du recul le côté privilégié de la ville.

    Je repasse le pont sous la chaleur montante, bois un café Chez Yuri puis, aguiché par Le Guide du Routard, décide d’aller déjeuner place du Marché des Chartrons. J’hésite entre La Guimbarde des Chartrons et sa formule buffet d’entrées à volonté, plat du jour, dessert, vin et café, et La Treille Muscate et son pot-au-feu de canard (magret, confis, foie gras, légume). Las, ils n’existent plus ni l’un ni l’autre. Le premier est remplacé par Le Rêve qui ne me fait pas rêver et le second par Le Comptoir qui d’après ce que je vois sur l’ardoise porte bien son nom.

    Voilà ce qui arrive lorsqu’on voyage en deux mille quatorze avec un guide de deux mille cinq. Il y eut sûrement de bons restaurants autour de cette place. Aujourd’hui, ce ne sont qu’attrape-touristes. Dépité, je retourne sur les quais et opte pour la terrasse ensoleillée et le menu du jour de L’Olivier des Chartrons, à l’arrêt du tramouais où le caténaire est replié pour laisser place à une alimentation électrique mystérieuse, point de câbles dans l’hyper centre. Point d’olivier non plus ici mais le service est agréable.

    Bientôt s’installent près de moi trois hommes d’affaires qui posent la veste et causent clients et refinanceurs, deux femmes dont l’une est suffisamment naïve pour se réjouir que sa fille soit bientôt stagiaire à La Charente Libre et deux garçons en couple dont l’un se plaint d’une laryngite :

    -J’ai pas envie de le voir, y va me gâcher ma soirée.

    -Nan, mais annule chéri.

    J’ai choisi les piguillos farcis au chèvre, la souris d’agneau braisée frites salade, le tiramisu, avec un demi de bordeaux supérieur, et pars de là content pour aller lire au bord de l’eau.

    Dans l’après-midi, je décide d’aller voir le Musée des Beaux-Arts. La plupart de celles et ceux que j’interroge sont incapables de m’en indiquer le chemin. Quand j’y arrive enfin, c’est pour me trouver face à un mur d’Algeco. Un ouvrier m’annonce que c’est fermé.

    Rentré à l’hôtel, j’écoute par la fenêtre ouverte les riverains se demander où ils gareront leurs voitures, jeudi et vendredi, à cause de ce film.

    *

    Vieillir est déjà assez pénible, si en plus il faut le faire bien.

    *

    Une dame à qui je demande si c’est tout droit le Musée des Beaux-Arts : « Vous avez dû remarquer qu’ici rien n’est droit ». C’est vrai, à commencer par la Garonne dont la courbe oblige à bien du chemin inutile.

    *

    Flaubert dit dans une lettre que la vue d’une famille bourgeoise de Croisset en promenade dominicale l’a rendu malade de dégoût pour la journée. (Kazimierz Brandys, Carnets de Varsovie). J’imagine Gustave à Bordeaux un dimanche de ce siècle.

    *

    Sur un mur du quai Louis Dix-Huit : « A la mémoire d’Aristides de Sousa Mendes, Consul du Portugal à Bordeaux en 1940. Il sauva 30 000 réfugiés dont 10 000 juifs fuyant l’envahisseur nazi en leur délivrant des visas d’entrée au Portugal, désobéissant ainsi aux ordres de ses supérieurs hiérarchiques, n’écoutant que la voix de sa conscience au mépris de sa carrière. »

    Partager via Gmail Yahoo!

  • La patronne me l’avait bien dit, pas de petit-déjeuner à l’hôtel en ce jour dominical, plus qu’à partir à la recherche d’une boulangerie et d’un café ouverts. Mazette, ce n’est pas une mince affaire. Les boulangeries semblent ne pas exister et les cafés sont fermés. Après une longue marche, je trouve enfin, près du quartier Saint-Michel, sorte de petit Belsunce local.

    L’avantage, c’est que je suis à côté du Grand Déballage, un marché aux puces dont les vendeuses et vendeurs se réjouissent du beau temps assuré. On y trouve des bouquinistes à bonne marchandise chère mais aussi une sympathique vendeuse de livres et de vêtements. Les uns et les autres sont à un euro. Ce sont quelques livres que j’achète.

    Après un café en terrasse sur les quais Chez Yuri où l’on parle arménien, je pars à la recherche d’un lieu pour me restaurer. Le Guide du Routard ne m’est d’aucune utilité. On n’y trouve quasiment que des restaurants fermés le dimanche ou bien ouverts du lundi au samedi. J’erre à nouveau entre la place de la Bourse et celle du Parlement et, rue du Puits Descujols, découvre une crêperie à volonté nommée L’Atelier. Le décor et le mobilier en sont branchés, comme disaient certains autrefois, et ce n’est pas la vieille Maryvonne qui fera les crêpes mais un jeune homme à l’allure de cleubeur. La serveuse tente de me faire renoncer à mon choix, vous savez les galettes sont copieuses et parfois on n’a plus faim après la première, ce n’est pas forcément une bonne affaire. Je tiens bon et lui prouve qu’outre la salée du chef, je peux aussi manger trois sucrées (caramel beurre salé, Tatin, calvados). Avec le pichet de cidre, cela fait moins de vingt euros. L’écoute de la radio Chérie, programme jazzy du dimanche, est offerte et ce n’est que lorsque je sors qu’arrivent les familles.

    Après m’être allégé à l’hôtel dont la chambre n’est pas faite (c’est dimanche), je vais faire ce que fait le Bordelais quand il ne travaille pas : marcher sans but sur le bord de la Garonne puis se poser sur le muret pour regarder les milliers d'autres marcher sans but le long de la Garonne. Au bout d’un moment, on peut trouver ça assez stupide et n’être plus aussi sûr de voter Juppé aux municipales.

    *

    Pas encore trouvé un café où me sentir bien pour lire, tant de trucs à tapas, il est vrai que c’est le sud, Bordeaux.

     *

    A l’Office de Tourisme, me renseignant sur où je pourrais aller autour de Bordeaux. « Surtout pas la mer, me dit la jolie stagiaire, toutes les plages sont interdites à la suite des tempêtes, il n’y a rien à faire là-bas. »

    *

    Une fille dans la rue, parlant à une autre fille : « J’avais les boules majuscules. »

    *

    Trois jours que je suis là et c’est seulement ce dimanche soir que je croise deux policiers à vélo, pas vu une seule voiture de police, ni de policiers à pied. Combien c’est différent à Rouen, où la Police est partout et tout le temps.

    Pas de vigiles non plus aux entrées de la grosse fête foraine de la place des Quinconces dénommée la Foire aux Plaisirs.

    Partager via Gmail Yahoo!

  • La salle du petit-déjeuner n’est pas l’endroit le plus agréable de l’hôtel où je loge. J’y côtoie ce samedi, à sept heures trente, journée de la femme comme il est dit navreusement un peu partout, quatre femmes en formation. La plus jeune a vingt-six ans et est très enceinte. Leur conversation porte sur les enfants et tout ce qu’ils vous empêchent de faire.

    Vers neuf heures, je rejoins le quai de la Garonne, où des dizaines de coureurs et coureuses à pied, à roulettes ou en vélo s’esquintent la santé, et le remonte vers la gare lointaine. Un marché pour pauvres se tient place Saint-Michel, fruits et légumes mais surtout chaussures, vêtements et ustensiles de mauvaise qualité à bas prix. J’y cherche un éventuel vendeur de livres sans succès et poursuis mon chemin. Avisant deux filles occupées à agrafer des cocottes en papier colorées sur le garde-corps qui empêche la chute dans le fleuve terreux, je m’approche :

    -Bonjour, c’est pour le plaisir ?

    -Non, c’est un travail en arts plastiques que l’on doit faire, agir sur la ville.

    -Vous êtes aux Beaux-Arts ?

    -Non, en fac à Pessac.

    Un peu plus loin, je photographie une plaque en l’honneur d’un ouvrier mort pendant la construction de la maison éco-citoyenne.

    Quittant le quai, j’entre en ville et parcours au hasard les vieilles rues à hautes maisons blanches plus ou moins noircies, content de découvrir par hasard une place Pierre Molinier « Photographe, Peintre et Poète ».

    C’est en terrasse au soleil d’été de mars que je déjeune à midi au restaurant L’Arbousier, place du Parlement. Le menu est à treize euros cinquante (quiche jambon camembert salade, sauté de canard au cidre pommes de terre, tartelette pommes crème) et le quart de médoc à cinq, cuisine moyenne, service avenant. A midi et demie toutes les tables sont prises et il en est ainsi de tous les restaurants de la place. Certain(e)s pique-niquent au pied de la fontaine sans eau. Aux tables voisines de la mienne, les enfants sont de sortie : une Agathe bébé que mère et grand-mère surveillent comme eau sur le feu, une pleurnicheuse sans prénom (sa mère l’appelle mon cœur) et une troisième qui va manger près de tata Claudine.

    Après le repas, je vais lire un peu de Brandys au bord de la Garonne où là aussi cela pique-nique partout, puis je reprends la balade dans la direction d’un pont récent, me heurtant à un « Village des Marques » sis dans d’anciens bâtiments portuaires. Je fais demi-tour et, fatigué par la chaleur, rentre faire une pause à l’hôtel.

    Reparti, je vais voir le Jardin Public proche. Des centaines de Bordelais(e)s de toute nature sont allongé(e)s sur les pelouses. Je me pose sur un banc près d’un casque de scouteur que vient récupérer un branlotin.

    -Vous lisez quoi monsieur ?

    Je lui montre les Carnets de Varsovie.

    -Ah oui, je l’ai lu ; c’est triste hein ?

    Tu m’en diras tant (comme dirait celle qui est à Paris).

    Le soir venu, je retourne place du Marché des Chartrons et suis le seul client de la pizzéria La Zagata dont le principal argument de vente est les longues jambes minijupées de la serveuse.

    -Un petit dessert, monsieur.

    -Non merci.

    Elle me propose alors un café, les yeux enamourés, et je la déçois encore une fois.

    *

    Rue Maucoudinat : un Coluche Kebab jouxte le restaurant Le Franchouillard.

    *

    Au restaurant du midi, une convive : « Y z’ont un budget de trente mille euros pour la soirée, non mais, c’est des malades. Et le thème, c’est Gatsby le Magnifique, tu connais ? C’est un film avec Leonardo di Caprio. Ça se passe dans les années vingt. Il va falloir s’habiller comme dans les années vingt. » Fitzgerald ne sera pas à la fête.

    *

    Partout dans les rues, des sosies de J R. Lunettes noires, petit chapeau et barbe courte, c’est le hipster à la bordelaise.

    *

    Une femme dans la rue : « Oh qu’il est méchant ! Qu’il est mauvaise langue ! Mazette ! ». Des dizaines d’années que je n’avais entendu prononcer un « mazette ». (Ce n’est pas de moi qu’il s’agissait).

    Partager via Gmail Yahoo!

  • Je suis dans un train coutumier pour aller à Paris ce vendredi matin puis direction la gare Montparnasse. Après un café au pied de la tour bourrée d’amiante, je prends place dans le Tégévé pour Bordeaux et même en première classe (ne nous refusons rien, c’était cinq euros supplémentaires). J’ai un fauteuil isolé mais pas sans vis-à-vis. En face de moi une dame lit Le Père adopté de Didier van Cauvelaert et je relis les Carnets de Varsovie de Kazimierz Brandys, autant dire qu’on a peu en commun. Avant le départ le contrôleur vire un jeune homme à capuche et à louches intentions puis annonce la présence d’un défibrillateur dans la voiture quatre, à utiliser en cas de crise cardiaque.

    On se retrouve vite au milieu de plaines où ne tournent pas les éoliennes. Beaucoup descendent dans une gare inconnue de moi du nom de Saint-Pierre-des-Corps d’où l’on peut rejoindre Lyon (y stagne un train estampillé Haute-Normandie). L’arrêt suivant est Poitiers d’où l’on peut s’échapper pour La Rochelle. Je n’y vois pas Maéva sur le quai. De temps en temps nous frôlons des chantiers d’autoroute où personne ne travaille. De l’eau remplit des champs et à l’horizon peu de gens. Puis viennent Angoulême d’où l’on n’a guère de correspondances et Libourne qui peut mener à Périgueux. Nous ne sommes plus que trois dans la voiture quand apparaissent les vignes puis Bordeaux. Le contrôleur annonce une correspondance pour Nice. Je la dédaigne et me trouve bientôt sur le parvis de la gare Saint-Jean. Un autochtone me conseille le tramouais pour aller dans le quartier des Chartrons où je dois nuiter, ce que je fais et sans payer car la borne automatique est en panne.

    Mon hôtel est bien caché dans une petite rue pavée qui ne figure pas sur le plan de la ville. La patronne me fait payer d’avance les sept nuits. Grâce à une réduction due au Guide du Routard et à des calculs alambiqués, la nuit ne me coûte que trente-cinq euros, petit déjeuner inclus sauf le dimanche et le dernier matin, cela pour une chambre avec fenêtre, douche et vécé.

    Je fais un tour dans les Chartrons où nichent les antiquaires puis gagne les quais de la Garonne où je me promène en chemise profitant du dérèglement climatique, prêt à voter Juppé aux municipales.

    *

    Passent un faux J R suivi d’un faux Keith Haring.

    *

    Dîner à La Plazza, place du Marché des Chartrons. Autour de la halle prolifèrent les bars et les restaurants. Beaucoup de monde est en terrasse malgré la fraîcheur revenue. Un tartare de bœuf à l’italienne frites maison et salade sera mon choix accompagné du vin local.

    Partager via Gmail Yahoo!

  • Le temps du départ pour Bordeaux est arrivé, où le train doit m’emmener en une moitié de journée. A l’arrivée, une petite chambre m’attend, qui n’est pas l’une de l’Hôtel de France, le plus littéraire de la ville, où descendirent Théophile Gautier et Stendhal.

    Le premier y était arrivé après avoir fui les rabatteurs (qu’on ne trouve plus aujourd’hui qu’en certains pays étrangers) : Ce sont des espèces d’argousins apostés en vedette par les maîtres des hôtels pour happer le voyageur au passage. Toute cette canaille s’égosille à débiter en charabia des kyrielles d’éloges et d’injures : l’un vous prend par le bras, l’autre par la jambe, celui-là par la queue de votre habit, celui-ci par le bouton de votre paletot. (…) Chacun cherche à vous dégoûter des établissements rivaux et ce cortège ne vous quitte que lorsque vous êtes entré définitivement dans un hôtel quelconque. (l’Hôtel de France donc)

    Le second, deux ans plus tôt, le onze mars mil huit cent trente-huit, s’était laissé faire par les rabatteurs, pour arriver au même endroit : Un commissionnaire s’est chargé de mes effets et je suis arrivé chez M. Baron, à l’hôtel de France, tellement accablé de fatigue que je craignais d’avoir oublié la moitié de mes effets à la diligence. C’est un malheur qui m’arrive souvent. J’ai une belle et bonne chambre, étroite et haute, avec une fenêtre, n° 21 A. Je dors jusqu’à une heure après midi.

    L’Hôtel de France en deux mille quatorze n’est pas des plus modestes, le mien si. J’espère néanmoins y trouver une chambre avec une fenêtre.

    *

    Ce que je sais des séjours de Théophile Gautier et Stendhal à Bordeaux, je le dois à l’une de mes lectures du moment : Hôtels littéraires de Nathalie H. de Saint Phalle (Denoël).

    Partager via Gmail Yahoo!




    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique